L’ami caché d’Islamabad

Le 3 mai 2011

L'exécution d'Oussama Ben Laden marque-t-elle la fin du Grand Jeu afghan ? Pas sûr. Par nécessité, les services secrets pakistanais soutiennent les islamistes depuis trente ans.

Le Grand Jeu afghan va-t-il reprendre des couleurs ? La mort d’Oussama Ben Laden, dimanche 1er mai dans une opération menée par les Etats-Unis, relance les spéculations autour de la position ambiguë du Pakistan. Officiellement premier allié de Washington dans la région, le pays et ses services militaires de renseignement (Inter-Services Intelligence, ISI) n’ont cessé de souffler le chaud et le froid, protégeant les plus radicaux des islamistes.

Dans la mosquée, un centre de transmission secret

Au bal des chefs d’Etat, l’ancien président Pervez Musharaff n’a pas oublié le jeu des masques. Surtout au moment de réagir, à chaud sur le site de The Nation, à la mort annoncée d’Oussama Ben Laden :

L’Amérique entrant sur notre territoire pour y mener une opération militaire, c’est une violation de notre souveraineté. La conduite et l’exécution de cette opération (par les forces américaines) ne sont pas appropriées. Le gouvernement pakistanais aurait dû être placé dans la boucle.

Un discours nationaliste qui omet l’essentiel du double jeu mené depuis des lustres par Islamabad pour masquer une coopération aussi intense que clandestine avec les Talibans et leurs alliés d’Al Qaïda. Ce faisant, Musharaff oublie qu’en 2007, il avait dû faire appel à des unités militaires différentes de celles de l’ISI pour se débarrasser des activistes de la Mosquée rouge, au coeur de la capitale. Une opération qui avait une fois encore dévoilé les liens unissant les islamistes aux services spéciaux pakistanais, ainsi que le racontait Roger Faligot en 2007 sur Rue89 :

Sous la mosquée, un centre de transmission secret a été découvert, avec des fils tirés directement du quartier général de l’ISI voisin (dont des membres venaient fréquemment faire leurs dévotions dans cette mosquée).

Sauf à considérer que le chef d’Al Qaïda ait joui durant dix ans d’une chance extraordinaire, les autorités locales pouvaient-elles ignorer sa présence à Abbottabad dans un complexe gardé et sécurisé ? Le limogeage du général commandant l’ISI en septembre 2007 avait pourtant marqué un premier tournant dans la tentative de reprise en main du gouvernement sur cette administration de 25 000 fonctionnaires, qualifié d’état dans l’Etat.

Les services secrets n’ont pu “contenir” les militants

L’explication de cette proximité dangereuse tient aux méandres des troubles alliances nouées par les services pakistanais depuis l’occupation soviétique de l’Afghanistan dans les années 80. Deux anciens responsables de l’ISI l’avaient clairement détaillé dans une longue enquête publiée en janvier 2008 dans le New York Times :

Les deux anciens responsables de haut rang des services ont reconnu que, après le 11-Septembre, quand le président Musharraf s’est publiquement allié avec l’administration Bush, l’ISI n’a pas pu contenir les militants qu’elle avait alimentés depuis des décennies pour exercer une pression sur l’Inde et l’Afghanistan. Après avoir contribué à développer des convictions islamiques dures, l’ISI a dû lutter pour empêcher cette idéologie de se répandre.

Concrètement, la coopération clandestine avec les islamistes installés en Afghanistan donna lieu à de nombreux règlements de comptes internes :

Un autre responsable a affirmé que des dizaines d’officiers de l’ISI, qui avaient entraîné ces militants, sont devenus des sympathisants de leur cause et ont dû être chassés de l’agence. Il a affirmé que trois purges ont eu lieu depuis la fin des années 1980, et ont même concerné trois directeurs de l’ISI suspectés de sympathies avec les militants.

Dans ces conditions, difficile de croire que les forces spéciales américaines aient pu intervenir sans avertir leurs homologues… mais sans doute pas ceux de l’ISI, par crainte de fuites susceptibles de faire capoter l’opération.

Cette situation ne devrait d’ailleurs pas disparaître du jour au lendemain. On voit mal pourquoi les Pakistanais se priveraient d’un pouvoir de nuisance efficace pour affaiblir leurs voisins (Inde et Afghanistan). La manne (estimée à 2 milliards de dollars par an), tirée du trafic de pavot peut aussi expliquer la permanence de ces liens. Sans compter les pressions indirectes exercées sur les alliés occidentaux d’Islamabad. Une déclaration d’Omar Bakri, un prêcheur radical assigné à résidence à Tripoli (Liban), a voulu donner le ton à tout ceux qui s’improviseront héritiers spirituels d’OBL, en prévoyant de futures représailles en Europe:

Sans doute le martyre d’Oussama Ben Laden va donner un nouveau souffle à la nouvelle génération, car l’entreprise du jihad ne s’arrêtera pas. Nous nous attendons à des réactions de cette génération en Europe (…) Il y aura des opérations pour venger cheikh Oussama.


Logo de l’ISI CC Wikipedia.


Retrouvez notre dossier :

L’image de Une en CC pour OWNI par Marion Boucharlat

Ben Laden dans les archives des services secrets par Guillaume Dasquié

Les 300 000 morts de la guerre contre le terrorisme par Jean Marc Manach

Mort de Ben Laden : l’étrange communication de l’Élysée par Erwann Gaucher

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