Les journalistes, c’est rien que des faux blogueurs, na!

Le 6 juin 2010

Le point sur la dernière castagne qui agite la cour de récré blogosphérique. Des encartés culottés ont eu l'audace de s'introduire, sans adopter les bonnes habitudes en vigueur dans la place. Pas bien.

Dites, les vieux blogueurs racornis de la sidebar, vous vous souvenez comment c’était hype de beugler sur le classement Wikio, en 2008 ? La blogo underground faisait genre « on le méprise », et la blogo trendy faisait genre « c’est trop bien ». Au final, bien sûr, tout le monde a pu s’exprimer pour faire son intelligent en prononçant le mot magique : « algorithme ». (En fait, il suffisait d’aller lire Jean Véronis et d’apprendre par coeur ses deux billets, dans lesquels il nous éclairait sur comment le soleil sortait tous les matins du trou du cul de Wikio).

Mais chacun jouait dans sa propre cour, et jamais on ne lançait le ballon chez Les Zautres. Des fois qu’on se fasse taper.

Ben ouais : d’un côté t’avais les blogs Zinfluents, et de l’autre les blogs Zinflués. Et puis en transversal, pour décorer, t’avais les blogs Zinclassables. Tout ce petit monde se balançait joyeusement à la tronche des valeurs Zessentielles, et chacun finissait par se calmer en continuant à bloguer sur les sujets de son choix.

Ça fonctionnait vachement bien. De temps en temps éclatait une bonne petite guerre blogosphérique, histoire de pas non plus s’endormir sur ses billets ; soit dans le registre « mon gloss est plus beau que le tien, pouffiasse », soit dans le registre « Ségo était plus légitime que Nico, connard ». Bien sûr, en 2009 le débat s’est élevé d’un cran avec le fight « Scrapbooking vs point de croix », les blogs de loisirs créatifs ayant totalement bouleversé l’écosytème virtuel en place.

Bouh le billet sponsorisé

Ensuite, t’as eu la polémique du billet sponsorisé. Ça, c’était sympa également. Ça fightait sévère. Les seuls à fermer leur gueule, au final, c’était les blogueurs qui, avec leurs 200 ou 500 euros mensuels de billets sponsos, arrivaient à boucler leurs fins de mois (pas tellement glorieuses pour cause d’Assedics récalcitrants et d’employeurs peu enclins à conclure). En gros, au royaume des putes borgnes les riches aveugles étaient rois, et le billet sponso c’était le Mal.

Mais pour finir, le snobisme, le vrai, s’est installé au sein de la blogosphère. Un parfait reflet de notre société-qu’a-rien-que-des-problèmes. Zinfluents et Zinflués se tinrent  donc la main pour édifier en chœur la nouvelle hiérarchie 2.0. Et c’est ainsi que naquit le Bien et le Mal blogosphérique, divisant les blogs en deux catégories bien distinctes : les blogs Zintelligents et les blogs Zidiots.

Depuis ce jour-là, ça rigole plus : ou t’en es ou t’en es pas. T’as pas fait Sciences Po, tu ne repenses pas l’Internet Mondial à chaque billet, tu ne nourris pas le monde affamé de ton omniscience culturo-ouèbesque ? Tu n’analyses pas la crise de la presse papier, tu ne l’opposes pas avec virulence au rédactionnel web, tu n’as jamais pondu de billet sur le pourquoi du comment des difficultés rencontrées par les modèles économiques dits émergents ? Tu ne sais pas disserter sur les implications du personal branding, tu es incapable de soutenir une discussion en ligne sur les enjeux du nouveau journalisme, et les billets de Narvic te plongent, hébété(e) de stupeur, dans un coma proche de la NDE ? Si tu as répondu oui à au moins une de ces questions (oui, une suffit, la blogo c’est cruel, mon lapin), c’est que ton blog fait partie des blogs Zidiots. Tu n’as point de consistance, point d’existence virtuelle parmi les gens qui comptent, et s’il te prenait l’envie de commenter sous un billet, chez un blogueur Zintelligent, sois gentil, ne tache pas le background du taulier en laissant l’adresse de ton blog. Dis plutôt que t’as bac + 4, ça t’aidera peut-être. De toute façon, personne te répondra, t’en es pas.

Zinflués et Zinfluents, Zidiots et Zintelligents (se lit dans les deux sens).

Nan mais pleure pas, t’as certainement d’autres qualités hein. Mais bon, t’as un blog Zidiot, voilà, quoi, qu’est-ce que tu veux que je te dise. Au moins, dis-toi qu’il est pas rose-chiottes comme le mien, c’est toujours ça de pris. Ah, si, il est rose ? Bon. Euh… Pense à autre chose, va. Et si ça peut te rassurer, sache que ton lectorat est plus Zintelligent que le lectorat des blogs Zintelligents : chez toi, on atteint jamais le point Godwin ; ben oui, t’as déjà distribué un point Godwin dans un fil de commentaires consacré à un fond de teint ou à la maille serrée, toi ? Non. Alors réjouis-toi. Parce que le point Godwin dans les commentaires, c’est jamais rien que des gens suffisamment vrillés du bulbe pour se foutre en rage devant un clavier et un écran, et instiller dans des affrontements désincarnés des forces vives qu’ils feraient mieux de mettre au service de choses plus concrètes (communiquer IRL avec la même fougue, par exemple). Le mec qui passe des heures sous un billet pour finir par traiter un inconnu aussi con que lui de nazi, sérieux, je trouve ça pathétique.

Enfin tout ça, c’était super quand même.

Jusqu’au jour où le Ouèbe Puant et Pontifiant a grondé d’une nouvelle indignation. Une nouvelle polémique, une bien juteuse : les blogueurs, c’est pas des vrais journalistes.

Les poissons, c’est pas des vrais légumes

Ça, c’était superbe : bon, évidemment, ça revenait à peu près à dire que les poissons, c’est pas des vrais légumes, mais c’est pas grave, ça marchait  bien, comme base de conflit. Et de la même façon que les gens peuvent avoir du mal à piger que la différence entre le canoë et le kayak c’est pas le type d’embarcation mais la discipline sportive pratiquée, quelle que soit la coquille dans laquelle on pose son cul, ben les gens ils ont pas pigé que le journalisme est une activité professionnelle reposant sur des compétences précises, n’ayant que très peu à voir avec l’installation d’un Wordpress (bon, les gars qui roulent pour Dotclear, vous fâchez pas. De toute façon, tant que vous êtes pas passés sous SPIP, votre existence ne vaut rien). Du coup, tu peux tenir un blog ET faire du journalisme. Ce sont deux choses différentes, deux activités reposant sur des principes de fonctionnement, formel et structurel, différents.

Bref, il était de bon ton de fonder son raisonnement sur le support utilisé, sans considérer l’activité exercée. Une fois le truc décortiqué, on ne retenait qu’une chose : le journalisme et les blogs, c’était un peu comme le rouge corail et le rose nacré : vu de loin, ça se ressemble un peu, mais sérieux, ça va pas ensemble du tout. Et rares sont ceux qui ont su dépasser ce clivage.

Partant de là, on aurait pu croire que la Messe était dite.

Mais la blogo est une mine d’or, et tous les jours une pépite en sort.  Alors accroche-toi à la colonne latérale, tu vas halluciner. Donc on est bien d’accord que les blogueurs, c’est pas des vrais journalistes.

EH BEN FIGURE-TOI QUE LES JOURNALISTES, C’EST PAS DES VRAIS BLOGUEURS.

Ouais.

Rien que ça.

Ça te la ramollit, pas vrai ?

C’est un truc de fou en fait : paraît qu’il y a des journalistes /chroniqueurs qui se sont mis en tête d’ouvrir un blog. Et d’y proposer des trucs. Et puis attention, les mecs c’est des fourbes hein, ils se sont carrément pas gênés, ils ont tout fait comme les vrais blogueurs, à savoir réfléchir à un chouette thème pour donner de la gueule à leur blog, travailler le wording pour que le rubriquage claque bien, agencer leurs petits machins sur la colonne latérale, bref  les mecs ils ont vraiment mis la gomme pour se faire plaisir. « Ouaiiis, s’tu veux, moi j’ai un blog, là, tu voiiiis ». C’est méchant, le journaliste. Ça trompe son monde. Et le chroniqueur, m’en parle pas, il est encore pire…

Mais tu sais ce que c’est, le pire du pire ? Attends, tu vas pleurer : le journaliste-faux-blogueur, il est dans le classement wikio. Et ça, sérieux, ça pue, pour le blogueur-puriste. Bon, faut savoir que pour le blogueur-puriste, de toute façon, tout est potentiellement puant. Mais Wikio, bordel ! Où va-t-on !

Alors je te la refais pas en technicolor, mais si tu veux, tu peux reprendre le paragraphe précédent en remplaçant « journaliste » par « homme politique », ça marche aussi  : parce que oui, y a aussi des personnalités politiques qui ouvrent des blogs. Et donc les personnalités politiques, c’est pas des vrais blogueurs non plus. Parce que chez eux, le blog c’est de la vitrine, mise en place avec du pognon. Donc le contenu personnel, bof. Y en a pas vraiment.

Ces usurpateurs ne jouent pas le jeu du lien sortant

Et là où le blogueur-puriste s’insurge, c’est que tous ces usurpateurs blogosphériques viennent poser leur cul sur son coin de web, et ne jouent pas le jeu du lien sortant. Le sacro-saint lien sortant. Pour le blogueur-puriste, le vrai blogueur fait du lien sortant, tandis que le faux blogueur n’est pas de son monde, n’adopte pas ses pratiques, ses usages. Le vrai blogueur fait une blogroll, le faux non. Le vrai blogueur produit du contenu, le faux insère des vidéos. Bref, pour le blogueur-puriste, le faux-blogueur « c’est pas des gens comme nous ».

Donc là, je soupire. Parce qu’il y a des jours où la connerie me fatigue. Et très sincèrement, je pense qu’avec ce genre de discours à la con, le blogueur ne prouve qu’une seule chose : il est capable d’être aussi corporatiste qu’un Joffrin au mieux de sa forme, aussi hargneux que Mélenchon dans ses grands jours, bref il a gagné sa place au sommet du système qu’il dénonce.

Blogueur-puriste, sois fier de toi : tu peux te montrer aussi con que ceux dont tu voudrais être l’égal, et dont tu t’es toujours cru supérieur. Parce que tu reproches aux journalistes et aux politiques de te regarder de haut, mais sans rire, tu t’es vu ?

Rappel : tout le monde a le droit d’ouvrir un blog

Un peu de sérieux. Tout le monde a droit d’ouvrir un blog. Et d’en faire exactement ce qu’il veut. Et d’être classé chez Wikio, même sur la base d’un algorithme prenant en compte les liens sortants. Ou pas. Ça a peut-être changé depuis. Je m’en tape. Dans tous les cas, l’autorité frelatée du classement Wikio est indigne de l’intégrité revendiquée par les blogueurs politiques. Voir un blogueur politique pleurnicher sur la présence dans la blogosphère, et pourquoi pas au Wikio, de journalistes-usurpateurs ou de politiques-VRP, c’est aussi dénué de sens qu’un végétarien t’expliquant que ton T-Bone sera bien meilleur saignant, et qu’en carbonisant ta viande tu le déçois beaucoup.

Chacun adopte sur son blog le fonctionnement qui lui convient. Les blogs vitrines des politiques ? Ils ne sont pas pires que les blogs vitrines des marques. Et alors ? Alors rien. On s’en fout. Ça ne changera rien à l’impact des blogs à contenu.

Quant aux journalistes et chroniqueurs à blog, je ne vois pas où est le problème. Ils ne font pas de blogroll ? Et puis ? Qui a dit que c’était obligatoire ? Les usages ? Les pratiques ? La blogosphère se serait-elle sclérosée au point de consacrer des « pratiques » à la con, tout ça pour entrer dans un classement à la con ?

Le blog, c’est l’envie, le désir, une petite extension virtuelle d’un pan de notre vie : convictions politiques, émotions, récits, partage de contenu, démarche de personal branding, oui, même ça (ce n’est pas sale), vente de pin’s ou propagande anti-gloss. Le blog, il est exactement ce qu’on en fait. Et on est libre d’en faire ce qu’on veut. On n’est pas obligé de « jouer le jeu ». Le blog, c’est notre propre terrain de jeux. Alors oui, Nicolas fait beaucoup de liens sortants, et Guy l’épicier pas tellement, sur son blog actuel. Mais Nicolas et Guy l’épicier sont l’un et l’autre très détendus du slip, bien sympathiques et leur contenu est intéressant. Nicolas explique d’ailleurs avec pertinence pourquoi la présence de certains blogs politiques au classement Wikio l’interpelle. Pour autant, il ne sombre pas dans l’aigreur. Ni dans le snobisme. La preuve, il me parle. C’est dire s’il a les idées larges.

Alors les arguments du type « ce n’est pas notre monde », au secours…

Je vous toise du haut de mon rose-chiottes

C’est pourquoi mon blog rose-chiottes et moi-même décidons ce soir, en vertu du pouvoir que nous nous conférons, en vertu également de cette époque où le classement wikio nous avait léché le cul, de nous revendiquer aussi fréquentables, militants, intelligents et cultivés que le blog politique le plus militant, Zintelligent et cultivé. Et en plus, dans le genre militante, ça va, je me défends.

Et pis c'est tout.

Par ailleurs, toujours en vertu du pouvoir que je me confère, et considérant qu’avec mon bac + 4 et demi et les compétences qui me permettent de gagner ma vie via la rédaction de formidables articles ayant trait à la sexualité, je me déclare officiellement fausse blogueuse.

Du coup, lorsque j’ai publié ce billet sur mon blog personnel, j’ai viré ma blogroll, toisé tout le monde du haut de mon rose-chiottes, et décrété arbitrairement qu’étant maîtresse en ma demeure, y aurait pas de commentaires  sous ce billet (ouais, je fais ça parfois, notamment quand j’ai pas envie que les lecteurs s’expriment sous la musique de merde que je mets en ligne).  De toute façon, comme j’avais raison, tout échange ou discussion via les commentaires me semblait inutile. Tu noteras à quel point je respecte pas les pratiques sacrées de la blogo : non seulement je piétine le lien sortant, mais en plus je refuse de jouer le jeu des commentaires. Ce que ça prouve ? Une seule chose :  chez moi, je fais ce que je veux. Et j’affirme que même sans lien sortant et sans commentaires, c’est bien un blog que je tiens. Et  j’emmerde les usages de la blogosphère. Politique ou non.

Comme Guy l’épicier, je fais ce que je veux de mes cheveux sur mon blog. Et j’adore ça.

Et comme Nicolas, je partage mon avis.

Mais bien sûr, chez les autres je sais me tenir, et je m’adapte. Du coup, sur Owni, tu as le droit de commenter.

Edit du 5 juin : je te conseille de faire un saut à l’épicerie du coin (comment ça, c’est un lien sortant ?) (T’es sûr ?) (Ah ouais, tiens)

Billet initialement publié sur Le Journal d’une peste sous le titre “Les journalistes, c’est rien que des faux blogueurs, il paraît. Et Wikio il est méchant.”

; images CC Flickr Stéfan, Okinawa Soba (In Asia and Africa until August), markuz

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