L’envol sous CC

Le 3 mai 2010

Favoriser le duplicate content, ce n'est pas uniquement prendre le risque "de [s]e faire bien baiser pour parler crument", comme l'a expliqué Keeg dans un billet. Le choix du Creative Commons présente aussi des avantages.

Titre Original :

Écrire sous licence CC, au risque du vol… ou de l’envol ?

Passer ses textes sous licence Creative Commons, c’est bien. Je suis à peu près certains que les blogueurs sont très majoritairement favorables aux idées globales de diffusion et de liberté. Pourtant, une grande majorité des blogs ne sont surtout pas en Creative Commons. Référencement vous dites ?

C’est par ces mots que commence un billet fort incisif, “Le cocktail favori de Google : Creative Commons et duplicate content” publié par Keeg sur le blog du même nom. L’auteur entend y démontrer qu’il existe en réalité fort peu d’intérêt à placer ses textes sous licence Creative Commons, car le risque est alors grand qu’ils soient copiés et postés sur un autre site plus visible, qui captera le trafic à vos dépends et vous privera du flux de lecteurs sur votre blog.

C’est un fait que si les licences Creative Commons permettent de réserver certains droits (comme l’usage commercial ou la création d’œuvres dérivées), elles autorisent toutes la reproduction et la rediffusion des contenus , ce qui implique que les textes sous CC puissent exister en plusieurs endroits sur la Toile.

Vol ou envol ? La réutilisation des textes en ligne fait débat... (Flying books. Par Gexidaf. CC-BY-NC. Source : Flickr)

On pourrait voir cette “ubiquité numérique” des textes comme un avantage en termes de visibilité et de diffusion des idées, mais Keeg nous explique, qu’au contraire,  cette duplication des contenus (duplicate content) est susceptible de compromettre le référencement de votre site, surtout si de gros requins, comme Paperblog par exemple, spécialiste de l’agrégation de contenus extérieurs, mettent le grappin sur vos écrits. La question est visiblement controversée, notamment à propos du comportement de Google face au duplicate content et ce phénomène est susceptible de revêtir plusieurs formes, plus ou moins problématiques.

Le référencement du blog compromis…

Plutôt que de m’échiner à faire de la paraphrase, je citerais bien encore quelques lignes de plus de l’excellent billet de Keeg, mais celui-ci, fort logiquement, n’a pas placé son texte sous licence Creative Commons, ce qui me cantonne dans les limites étroites et incertaines de l’exception de courte citation.

Allez,  soyons fous ! Un paragraphe de plus quand même (il en vaut la peine) :

On peut facilement en conclure que si un site solide te pompe sans scrupule ton petit contenu de ton petit blog tout nouveau parce que tu es en Creative Commons ou que tu as donné ton accord, tu risques de te faire bien baiser pour parler crument.

Ce qui est extraordinaire, c’est que je suis tombé sur ce billet par le biais… d’un duplicate content ! Ce texte, qui s’insurge contre la cannibalisation, s’est fait pomper par le site Tunibuzz, un agrégateur de blogs, et c’est sur ce clone à la légalité douteuse que je suis tombé, car il devait être mieux référencé que l’original.

Cette preuve par l’exemple semble apporter de l’eau au moulin de Keeg, mais je voudrais prendre un instant pour expliquer pourquoi je n’abandonnerai pas pour autant les Creative Commons pour S.I.Lex et pour quelle raison j’approuve que mes écrits se dispersent sur la Toile grâce à la licence libre, quand bien même cela pourrait faire baisser le trafic sur mon blog.

J’utilise en effet sur S.I.Lex la licence CC-BY (Paternité), la plus ouverte, qui permet toutes formes de réutilisation des textes (y compris à des fins commerciales), à condition de citer Calimaq comme auteur.

Un texte qui n'attend plus qu'une licence libre pour s'envoler (Book Birds. Par photojenni. CC-BY. Source : Flickr)

Assez rapidement, j’ai eu le plaisir de constater que les libertés que je souhaitais offrir à mes lecteurs étaient effectivement utilisées et que mes billets étaient repris sur d’autres blogs, comme ici par exemple  sur le site @Brest. C’est arrivé un certain nombre de fois, jusqu’à ce que je décide volontairement de déporter une partie de mes billets (la veille hebdomadaire des Filons de S.I.Lex) vers une autre plateforme, Posterous, pour tester une expérience de dissémination.

Cette duplication volontaire a franchi une nouvelle étape lorsque j’ai rejoint la plateforme OWNI, sur laquelle je poste de temps en temps par moi-même des billets, et dont l’équipe vient chercher des contenus réutilisables sur S.I.Lex. Il arrive d’ailleurs à cette occasion que les billets soient légèrement modifiées, avec des ajouts ou des changements de titres ou d’illustrations, toutes choses que permet de faire ma licence. Le modèle éditorial d’OWNI réside principalement dans l’agrégation de contenus en provenance de blogs extérieurs, qui sont “mis en scène” d’une autre façon à bord de la Soucoupe et assemblés pour former un nouvel objet.

Depuis quelques mois, je participe également à l’initiative Revue Réseau TIC, une revue collaborative autour de l’appropriation des usages de l’Internet et du multimédia. Mise en place par l’association CRéATIF, cette revue fonctionne à partir d’un vivier de sites et de blogs à qui il est proposé de soumettre des billets à un comité de rédaction, en ajoutant un simple tag récupéré par un fil RSS. Tous les blogs contributeurs sont placés sous licence Creative Commons.

Mais élargissement du lectorat, rencontres d’auteurs…

Pour être franc, ni placer un article sur OWNI, ni le déporter sur Posterous ou Revue Réseau TIC ne génère pas vraiment de trafic en retour vers S.I.Lex. Pourtant, il est évident que cette exportation des contenus a contribué à la visibilité de mes écrits et surtout, m’a permis d’élargir mon lectorat, de rencontrer d’autres auteurs et de m’ouvrir à de nouvelles communautés.

Que cela puisse contribuer à faire baisser le trafic sur S.I.Lex m’importe peu. Et je n’ai pas l’impression que cela pénalise vraiment le positionnement de mon blog. D’ailleurs, quand j’analyse la structure du trafic vers S.I.Lex, je me rends compte qu’il ne provient que pour une part seulement des moteurs de recherche et que l’essentiel des lecteurs viennent ici en suivant des liens ou par l’effet de “référencement social” qu’occasionnent des réseaux comme Twitter. Je préfère cent fois voir un humain arriver sur mon blog parce qu’il l’a choisi ou parce qu’un de ses congénères lui a recommandé, plutôt qu’un robot l’ait mécaniquement attiré vers mes pages. Peut-être d’ailleurs est-ce la raison pour laquelle j’ai la chance de bénéficier d’un vrai dialogue par le biais des commentaires sur S.I.Lex ?

L’importance “comptable” accordée au trafic in situ qui pousse à protéger les billet est certainement à rapprocher de l’attitude de ces blogueurs qui limitent à quelques lignes les contenus que peuvent aspirer les agrégateurs de flux RSS pour être certains que les usagers cliqueront sur les liens et reviendront lire les billets chez eux. C’est particulièrement pénible pour les lecteurs, mais cela leur rapporte sans doute quelques visites de plus par mois.

De manière surprenante, les propos de Keeg me font aussi penser au conflit qui oppose Google News et la presse en ligne. Aux menaces des Murdoch et autres qui songent sérieusement à se faire déréférencer des index de Google, dans l’espoir de récupérer un trafic “détourné” par Google News.

Blogueurs : un petit fond de névrose narcissique ?

Sauf que pour l’immense majorité des blogs, la question du modèle économique ne se pose pas (ou si peu… on ne me fera pas croire que les bannières de pub’  tiennent lieu de modèle économique !) ; l’écriture sur les blogs relève encore bien plus de l’otium que du negotium et c’est peut-être le modèle égonomique des blogueurs qu’il faudrait questionner…  Se demander s’il n’y a pas un petit fond de névrose narcissique à penser  une lecture “chez soi” possède plus de valeur qu’une autre effectuée ailleurs,  à partir d’un autre site…

C’est également sans compter qu’il existe au contraire des producteurs de contenus qui jouent pleinement la carte de la dissémination, comme par exemple le site de journalisme citoyen Propublica. Placé sous licence Creative Commons sa mention légale proclame haut et fort : “Volez nos articles !” et incite ouvertement à la réutilisation des articles.

Je pense également au site Global Voices, un réseau de blogueurs qui sélectionnent et agrègent des articles produits à l’extérieur, tout en apportant une véritable valeur ajoutée en traduisant les billets dans plusieurs langues (celui-ci par exemple, excellent). S’ils peuvent le faire, c’est justement parce que les licences Creative Commons permettent aussi par défaut l’adaptation des textes et donc leur traduction.

Vouloir utiliser le droit pour épingler les contenus à un endroit sur la Toile et un seul, c’est certainement passer à côté d’une des évolutions majeures du web, qui fait justement que la notion même de “lieu” est en train de se dissoudre au profit de quelque chose d’infiniment plus fluide. Il faut relire à ce propos le billet de Thierry Crouzet “Vers un web sans site web”, qui souligne l’importance de la dissémination et redéfinit le blog comme un propulseur :

L’idée d’un lieu de lecture privilégié et monétisable, le site web, est révolue. Nous avons des sources d’informations, les blogs par exemple, qui propulsent l’information pure dans le cyberspace. Puis elle circule, s’interface, se représente, se remodèle. Elle n’a plus une forme donnée, une mise en page, mais un potentiel formel qui peut s’exprimer d’une infinité de façons. Je me moque de la forme originelle quand je lis sur un agrégateur, éventuellement ouvert sur mon mobile.

[...] Nous allons pousser des données dans le flux global. Certains d’entre nous se contenteront de régler la tuyauterie, d’autres d’envoyer avec leur blog des satellites en orbite géostationnaire, d’autres de courts messages microblogués, juste des liens, des sourires, des impressions pendant que d’autres expédieront des vaisseaux spatiaux pour explorer l’infini, des textes longs et peut-être profonds.

Le temps des propulseurs est venu.

Pour accompagner ce mouvement, les Creative Commons demeurent la solution juridique la plus simple et la plus efficace afin de fluidifier les usages, tout en permettant aux auteurs de maîtriser la libération opérée, par une modulation des droits offerts au public.

Accepter d'ouvrir les textes : un geste naturel ? Pour certains, mais pas pour d'autres. (Open Book of Nature/Fougère nid d'oiseau. Par Boulumix. CC-BY-NC-ND. Source : Flickr)

Et certains ont bien compris l’intérêt qu’il pouvait trouver à faciliter la réutilisation et la circulation de leurs créations en ligne. Je dois avouer que j’ai été très heureux  de voir par exemple l’auteur de science-fiction Lionel Davoust, proposer ce mois-ci plusieurs de ses écrits sous licence Creative Commons. Lionel est venu plusieurs fois dialoguer ici, dans les commentaires de S.I.Lex, pour affirmer son attachement au droit d’auteur, et notamment au droit moral (voyez sous ce billet). Nous n’avons pas toujours été d’accord, mais je ne peux que respecter ce genre de positions sincères. Il est d’autant plus intéressant de le voir aujourd’hui faire le choix des licences libres pour expérimenter, de manière maîtrisée, de nouveaux modes de diffusion de ses œuvres (et du coup, son – excellent – blog est  passé lui aussi en CC !).

On a pourtant parfois le sentiment que le syndrome d’Harpagon sévit encore lourdement sur le web et qu’il va se loger jusque dans les choses les plus infimes. Il existe ainsi une ribambelle d’outils pour détecter le plagiat en  ligne que ce soit pour les textes ou les images ; mais on en trouve aussi pour surveiller si personne ne vous pique vos tweets ! Jusqu’où va se loger le délire d’appropriation !

Profitons bien au contraire de la fluidité que nous offre encore le web, car il se pourrait que les textes deviennent infiniment moins libres lorsqu’ils migreront en masse vers des outils comme l’iPad. Je vous recommande à cet égard de lire cet article de Cécile Dehesdin, qui montre comment la nouvelle tablette miracle pourrait rapidement se transformer en un “ennemi du mot”, qui bloquera des opérations aussi élémentaires que le copier/coller, l’envoi par mail ou le lien hypertexte.

Et l’auteur de prédire que se prépare : “une bataille sur l’écrit en ligne: d’un côté, la tentation de recouvrir les mots d’une couche de verre protectrice, et de l’autre, l’acceptation du fait que l’on a tous à y gagner si les mots ont le droit de former des réseau.

Former des réseaux avec les mots, c’est l’essence même de l’art de bloguer ; la couche de verre n’est peut-être pas tant dans les outils que dans l’esprit de ceux qui voient la réutilisation des contenus comme une forme de vol, plutôt qu’un envol…

Pour joindre le geste à la parole, je vais m’empresser d’aller poster ce billet sur Owni et de le proposer à Revue Réseau TIC.

Et si par hasard, vous souhaitiez le reprendre, inutile de me le demander : faites-le !

Car j’écris sous licence libre et il ne pourrait plus en être autrement…

Billet initialement publié sur :: S.I.Lex ::

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