OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Candide à Damas http://owni.fr/2011/04/19/candide-a-damas/ http://owni.fr/2011/04/19/candide-a-damas/#comments Tue, 19 Apr 2011 11:00:59 +0000 Raphaël Volney http://owni.fr/?p=56858 Le dîner est excellent – j’adore les makdous. Beit Jabri incarne le rêve du restaurant damascène. La fontaine glougloute autant que les narguilés. En guise de toit, une tonnelle grande comme un terrain de tennis. Les dés des backgammons roulent, les pions glissent, les serveurs sont attentifs.

Je suis ce soir avec deux Français rencontrés à l’hôtel. Excellente chose, j’ai erré dans les manifs pro-régime toute la journée : un restaurant entre touristes calmera les moukhabarat, la Stasi du coin. Entre ceux qui m’ont suivi et ceux qui m’ont photographié et ceux qui m’ont parlé pour me demander ce que je faisais et si j’aimais la Syrie et ce que je pensais de Bachar el-Assad, j’ai dû encore gonfler le dossier qui me concerne, déjà alimenté par une année passée sur place. A l’époque, ils ont enregistré mes voyages dans la Djéziré, à proximité de la frontière irakienne, quelques allers-retours au Liban où j’étais passé voir la prise du camp de Nahr el-Bard, en 2007. Ils ont analysé les relations avec mes amis, syriens, français, européens. En revenant maintenant, pour l’embryon d’une révolution syrienne, je dois avoir déjà un certain dossier.

Le privilège des dictatures, c’est l’arbitraire

Je ne suis pas paranoïaque. Un ami dont-je-ne-peux-dévoiler-l’identité-sous-peine-de-mettre-sa-vie-en-danger-et-peut-être-la-mienne-enfin-on-ne-sait-jamais, présent depuis très longtemps sur place, a eu l’occasion de réaliser le professionnalisme des renseignements syriens. Il devait aller en Jordanie quatre jours. Cette formalité administrative l’a emmené un peu loin. Soudain, le régime a trouvé ça louche, suspect, simplement bizarre. On ne saura jamais pourquoi mais ce jour-là, son dossier devait être impérativement consulté. Comme on ne saura jamais pourquoi un ami, un voisin, un frère est arrêté, interrogé, battu. Le privilège des dictatures, c’est l’arbitraire. Le régime et ses moukhabarat n’ont pas à justifier leurs décisions. Le bras du pouvoir peut s’abattre sur les coupables comme sur les innocents. Ça incite tout le monde à rester prudent.

Dans le trafic damascène...

Cet ami qui-restera-donc-anonyme est extrêmement bien introduit. Il connaît des cadres du régime. La dictature s’accorde parfois étrangement avec l’hospitalité syrienne : on l’invite à passer à l’une des nombreuses directions des RG locaux pour consulter son dossier. Il descend dans un sous-sol où sont empilées des centaines, des milliers de fiches. Tel qu’il le raconte, je me figure l’immense hangar dans lequel est entreposée l’arche d’Alliance dans le premier Indiana Jones, à la fin du film. Mon ami s’apprête à attendre, longtemps – au Moyen-Orient, la patience n’est pas qu’une vertu, c’est une nécessité. Mais pas aujourd’hui, raconte-t-il, mi-amusé, mi-troublé:

Je donne mon nom, vaguement griffonné sur un papier. L’agent revient, deux minutes plus tard. Il porte deux énormes dossiers, gros comme des annuaires. Il les pose sur la table, dans un bruit sourd, devant moi. Les consulte, vérifie les notes, les remarques. Ce sont bien mes dossiers. En quelques regards volés, je revois consignées des conversations oubliées, des rencontres lointaines… Puis l’officier me sourit et me confirme qu’il n’y a aucun problème. Je crois que les Syriens ont voulu me donner un petit avertissement, ce jour-là.

Faux profils Facebook

C’était il y a une dizaine d’années. Depuis, il paraît que tout est informatisé, ou en cours d’informatisation. L’espionnage est bien sûr électronique. Les mails envoyés, reçus dans les cybercafés sont réputés être tous interceptés. Facebook doit apparaître comme une formidable possibilité pour les services syriens : tout est ouvert, à la disposition de n’importe quel ami bidon. Quelques mois après mon premier séjour, j’ai reçu sur le réseau social l’invitation d’une charmante jeune femme française, connectée aux gens que j’avais connus là-bas. Des photos, des messages, des commentaires sur son wall, on s’y croyait. Je lui ai quand même demandé : “On se connaît ?”. Elle ne m’a jamais répondu. Elle a disparu. Dans mon entourage, personne ne la connaissait ; tout le monde avait reçu l’invitation. Je devrais m’apprêter à recevoir une autre invitation dans les semaines à venir.

L’espionnage peut être plus agressif. J’ai pris mon billet pour Beyrouth un lundi, pour le lendemain. Dans la foulée, j’invente un faux nom avec lequel je crée une adresse mail et un compte Twitter bidon. J’arrive mardi soir à quatre heures. A sept heures, je suis à Damas. J’envoie un SMS à mes contacts dans les journaux. “Je suis en Syrie. Je peux faire des choses pour vous.” Je dois rester évasif, j’espère qu’ils percutent de l’autre côté.

Mercredi soir. J’ai fait ma revue de contacts, proposé des papiers via mon mail bidon. Rue Bab Touma, je me connecte dans un cybercafé désert. J’envoie mon premier papier. Je sors au bout de trois minutes. Je traverse la vieille ville. Souq Sarouja, quartier populaire, une demi-heure plus tard. Je tente de me reconnecter pour voir ce que le journal m’a répondu:

Suite à une activité inhabituelle sur votre boîte mail, veuillez donner votre numéro de téléphone pour identification.

Merde – déjà grillé. Je sors, trouve un nouveau cybercafé. Quartier bourge de Shaalan, une demi-heure plus tard. J’en ai plein les jambes mais crée une autre adresse mail, avertit mes contacts. L’adresse sera grillée 36 heures plus tard. J’en ai créé trois ou quatre des comme ça. Je suis resté à l’affût du moindre cybercafé pour ne jamais remettre les pieds dans le même. J’ai marché des kilomètres. Heureusement, j’adore cette ville.

Danger sourd et constant

SMS interceptés, mails lus, messages effacés sur mon compte Twitter, appels suspects. J’ai dû me mettre rapidement aux VPN, proxy et autres finesses de pirates informatiques. Pour travailler, c’est chiant. Il faut être rapide. Sur place, une journaliste française a fait un papier pour une télé. Le lendemain, attablée dans un café, un type s’assoit en face d’elle. “Are you journalist ?” Elle a eu de la chance: elle n’a eu droit qu’à l’avertissement. Elle a été futée: elle a quittée la Syrie dans la foulée.

Pour les images, le traitement est plus sévère. Un photographe de Reuters, resté en planque à Dera’a aux débuts de la mobilisation, changeait de maison tous les soirs. Parlait le moins possible au téléphone. De retour à Damas au bout d’une semaine, il s’est fait arrêter. Emprisonné six jours, tabassé, humilié. Un touriste se retrouvant par hasard dans une manifestation à Damas s’est fait prendre par les moukhabarat. Battu à coups de pains de savon (d’Alep ?) pendant une heure, dans une camionnette. Puis ils se sont rendus compte qu’ils avaient fait une connerie, que ce photographe était bien un touriste. Ils l’ont lâché devant l’hôpital français. Un officier syrien lui a présenté ses excuses. Dictature et hospitalité syriennes, sans doute.

Quelques manifestants épars

Le régime représente un danger sourd et constant. Il s’y connaît en renseignement : ça fait quarante ans qu’il s’en est fait une spécialité. A tel point que les moukhabarat prennent rarement la peine de se cacher. Quand j’ai voyagé dans la Djéziré, fief kurde, entre autres, deux agents nous ont suivis dans un 404 break sur des dizaines de kilomètres. Si nous prenions une pause, ils se garaient à côté de nous. Si des villageois manifestaient l’envie de venir nous parler, ils les éloignaient. Quand nous trouvions un hôtel, ils venaient relever nos noms, où nous travaillions, ce que nous faisions là. Quand, au bout de deux jours, ils ont constaté que nous étions inoffensifs, ils ont arrêté leur surveillance.

Le costume élimé du moukhabarat

Mais ces derniers jours, les moukhabarat sont partout. Sur certaines places centrales, il peut y en avoir une vingtaine sur cinq mètres. Sur certains bâtiments en hauteur, des guetteurs, équipement jumelles/kalachnikov. Dans les cafés, dans les restaurants, aux soirées privées, y compris d’expats, de drôles de gars adressent la parole aux étrangers. Souriants, polis, au costume seventies élimé, aux cuirs noirs craquelés: le moukhabarat standard. Ils viennent poser des questions aux gens qu’on vient de rencontrer. Du genre :

Alors, il t’a raconté quoi, l’étranger ? Qu’est-ce qu’il voulait ?

Voilà pourquoi rares sont les Syriens rencontrés dans la rue qui m’ont confié vouloir pisser sur la statue du président de la République. A vrai dire, dans la rue, je ne parle jamais de politique. La personne du président est intouchable. On peut se permettre de critiquer légèrement le gouvernement, de dire que décidément, notre bon raïs est mal entouré. Pas la peine de creuser plus loin : la question sera éludée avec un sourire gêné. Dictature et hospitalité syriennes, encore.

Au restaurant Beit Jabri, je finis mon jus de citron-menthe. Quand mes nouveaux amis français de l’hôtel m’ont demandé ce que je faisais dans la vie, je leur raconte une jolie histoire : je travaille pour un café-concert bien placé à Paris. Je contacte des groupes pour qu’ils viennent jouer, je fais parfois le service. Ils y croient ; j’y mets de la conviction. Avant de partir, j’ai prévenu les patrons du bar, ils me couvrent. C’est peu probable, mais les serveurs savent quoi répondre si un type me cherche au comptoir. Je ne m’étends pas sur mon prétendu travail : je suis fatigué de mentir. Je propose à la place d’aller boire des coups chez Abou George.

“Et toi, tu fais quoi dans la vie?”

Abou George, c’est le meilleur bistrot de Damas. Dix mètres carrés, une huitaine de places assises, les meilleurs piliers de bar jamais rencontrés au Moyen-Orient. L’arak, le pastis local, est toujours frais. Au mur, de vieux posters de playmates se confondent avec les murs jaunis. On les distingue à peine : dans ce bistrot, la lumière est terne, les vitres sales, les gens rapidement joyeux. Abou George est un trésor. Je m’y sens en sécurité.

La police, omniprésente

Au bout du premier arak, on trouve trois places. Il y a du bruit. Mes compagnons parlent entre eux, j’adresse la parole au type à côté de moi. La gueule typique de l’intellectuel incompris, brisé par la dictature. Jeune, béret Che Guevara, discours “Je ne m’intéresse pas à la politique, je considère que j’ai une mission, je travaille pour une ONG et donne des cours d’histoire aux enfants dans les campagnes”. Mais ce qu’il voudrait vraiment faire, c’est tourner des documentaires, raconter la vie, la vraie.

On papote, on parle de films, on se paie des coups. On est au fond du bar et je distingue mal son visage. Seulement en clair-obscur. Les traits sont anguleux et son long visage est encore allongé par un bouc sombre. Il regarde par en-dessous. Il me dit avoir étudié le journalisme à la fac. J’étais à Damas en 2007, connaîtrais-je des journalistes ? Non, je réponds, plus par habitude que par méfiance. “Et toi, tu fais quoi, dans la vie?” Il est vraiment sympa, ce type, souriant, cultivé. Longue discussion sur Godard, sur la façon dont les nouveaux styles émergent. Sur la Turquie, aussi. Pourtant, je répète ma jolie histoire : je suis donc serveur dans un bar parisien, je cherche des groupes pour des concerts, je raconte la musique que je préfère, celle que j’encourage, à quel point c’est difficile pour les musiciens de percer en France. Il revient sur le journalisme: “Tu connaîtrais pas Abdallah Mutlak, un journaliste syrien, par hasard ?“Bien sûr que je le connais! C’est un pote. Il est en Europe maintenant”, réponds-je, enthousiaste. J’ai déjà peur d’en avoir trop dit, mais il rassure: lui aussi connaît bien Abdallah, on vit vraiment dans un petit monde, n’est-ce pas?

On rentre à l’hôtel. Mi-amusé, mi-troublé, j’envoie un message à Abdallah, en lui demandant s’il ne connaissait pas un certain gars, de Tartous, que je viens de croiser. La réponse est lapidaire:

Non, jamais entendu parler de ce type de Tartous. Fais gaffe. Pour toi et… pour moi.

Un petit monde, tu parles. La dictature produit maintenant des moukhabarat bobos. Leurs matraques doivent être en bois estampillé commerce équitable.

Envie de se laisser aller

Je ne risque pas grand-chose : au pire, être bastonné à coups de savon, d’Alep ou non, d’être enfermé quelques jours et renvoyé en France à coups de pied. Et d’avoir quelques pages de plus dans mon dossier. Pour les Syriens, c’est beaucoup plus dangereux : ils peuvent être battus, arrêtés, sans raison, pendant des mois, des années. Le régime peut s’en prendre à leur famille. Le 14 février, une gamine, en détention depuis des mois, a été condamnée alors que l’Egypte fêtait la chute de Moubarak. Tal al-Mahoulli va faire cinq ans de prison pour divulgation d’information aux Etats-Unis. Elle a 19 ans et tenait un blog dans lequel elle racontait sa vie de jeune Syrienne sous la dictature. Trop dangereux, visiblement, pour le régime.

Ce soir-là, je n’ai pas été assez prudent. A l’abri d’Abou George, j’avais envie de me laisser aller, de n’être qu’un touriste français avec deux autres touristes français. J’étais fatigué. Il doit y avoir un sixième sens qui indique lorsqu’on est suivi, espionné : on se sent freiné, las. Ce n’est pas qu’un moukhabarat qu’on se traîne partout, tout le temps, à tel point qu’il s’invite dans le crâne et ne le quitte plus et contrôle la parole, les gestes, les rencontres. C’est l’ensemble d’un système qui colle à la peau. C’est le système dans lequel les Syriens vivent tous les jours.


Crédits photo: Flickr CC xophe_g, jemasmith, watchsmart, upyernoz, mocassino

]]>
http://owni.fr/2011/04/19/candide-a-damas/feed/ 0
Le reporter imaginaire http://owni.fr/2011/03/16/le-reporter-imaginaire/ http://owni.fr/2011/03/16/le-reporter-imaginaire/#comments Wed, 16 Mar 2011 07:30:06 +0000 Marc Mentré http://owni.fr/?p=51529 Le Journal du Dimanche du 6 mars 2011 a publié sous la rubrique grand reportage, un article signé Bernard-Henri Lévy titré Dans la Libye libérée. Ce texte fait partie d’un ensemble de 6 pages consacré aux événements qui se déroulent en Libye. Il comprend deux pages et demi d’une interview « exclusive » de Muammar Kadhafi, recueillie par un des envoyés spéciaux du journal, Laurent Valdiguié. Ce dossier comprend aussi deux articles de synthèse, l’un sur la situation dans le pays (Massacre à Zawiya, ville martyre) et l’autre sur les réactions diplomatiques (Attentisme à la Maison-Blanche et à l’Onu). Un traitement donc assez complet.

Dans le Parisien Dimanche de la semaine suivante (daté du dimanche 13 mars 2011), Bernard-Henri Lévy, interviewé par Frédéric Gerschel, revient sur son travail:

Je suis quelqu’un qui ne fait pas les choses à moitié. Je vais sur le terrain. Je rapporte un reportage sur les horreurs d’une guerre où on envoie des populations désarmées.

Et effectivement, il va sur le terrain. Mais pourquoi y va-t-il et que rapporte en terme d’informations ce « reporter de guerre » ?

Personnification de l’image

La double page, du grand reportage de Bernard-Henri Lévy, telle qu’elle est publiée dans le JDD, est atypique, d’abord par sa mise en page :

Le Journal du Dimanche du 6 mars 2001

Sur la page de gauche, une photo de Bernard-Henri Lévy souriant serrant la main d’un rebelle enveloppé dans le drapeau « révolutionnaire » libyen.

Dans ce dispositif scénique, Bernard-Henri Lévy est au premier plan, surplombant légèrement son interlocuteur. L’absence de légendage renforce encore cet effet. Le lecteur ignore qui est l’interlocuteur de BHL, le lieu et la date à laquelle a été prise la photo. En raison de ce flou, il est le seul personnage clairement identifiable, ce qui renforce la personnalisation de l’image.

Cette « photo » est détourée pour s’imbriquer dans le texte, si cela n’avait pas été le cas, elle occuperait les deux-tiers de la surface de la page, sans doute pour respecter un principe de maquette : la règle des deux-tiers / un tiers.

Sur la page de droite, le JDD publie deux autres photos, l’une montre [d'après la légende] « les ruines d’un dépôt de munitions situé à Benghazi » et l’autre Bernard-Henri Lévy, posant hiératique, costume de ville sombre, au milieu de personnages, dont certains —lesquels?— seraient [en se fiant à la légende] des « mercenaires de Kadhafi en fuite, mêlés à des réfugiés ».

Le sens de cette iconographie est donc limpide: le sujet n’est pas la Libye, mais Bernard-Henri Lévy.

BHL protagoniste

Maintenant, le texte. Il est rédigé selon un procédé narratif classique —avec l’emploi du « Je »— qui est foncièrement subjectif. L’écriture est donc « raccord » avec l’iconographie. Il l’est d’autant plus que Bernard-Henri Lévy se fait le personnage —et acteur— principal de son reportage.

« Reportage », il faut immédiatement mettre des guillemets, car dès la première phrase, il nous précise ce qu’il est venu chercher la réponse à une seule question : « Que pouvons-nous faire pour la jeune révolution libyenne ? » Il s’agit donc d’une quête et non d’un reportage, ce travail de terrain où le journaliste est un « témoin direct », où il « se laissera impressionner comme une plaque photographique. (…) Le reporter, c’est un œil, un nez, une oreille branchés sur un stylo », comme l’explique Jean-Luc Martin-Lagardette dans son Guide de l’écriture journalistique.

Il ne s’agit pas non plus avec l’emploi de ce « Je », de pratiquer cette forme d’échanges, que décrit Myriam Boucharenc à propos des écrivains-reporters des années 1930:

Voir, c’est aussi être vu par l’autre. Segalen avait admirablement mis en valeur le décentrement du regard qui permet de se « voir vu », en quoi consiste selon lui la véritable expérience exotique. « Je le regardai avec effarement », note Albert Londres à propos d’un bagnard et aussitôt il ajoute : « Il me regarda avec commisération et lui se demanda d’où je sortais ». L’auteur s’emploie à restituer, en même temps que sa vision des lieux visités, la manière dont les indigènes le voient, lui ou le pays d’où il vient. En faisant ainsi se croiser les points de vue, l’enquête introduit à la relativité des vérités et des jugements, dans la tradition du conte philosophique ».

À l’évidence, Bernard-Henri Lévy n’est pas, sur ce point là non plus, l’héritier des Blaise Cendrars, Pierre Mac Orlan et autres Andrée Viollis. Il fonctionne à sens unique.

Formules vagues

Peu de choses vues dans le texte : une poignée de dessins dans une école, une scène de bataille « reconstituée » par « deux paysans », une rencontre avec des membres du Conseil national de transition, quelques témoignages… et au final, bien peu d’informations.

L’auteur au lieu de s’attacher à vérifier, compléter et préciser ses informations, se contente de lancer quelques formules vagues, comme celle concernant une tentative de bombardement des « terminaux de Braygah, à 100 kilomètres de Benghazi ». Elle eut lieu « pendant notre séjour », écrit-il. Quand précisément ? Combien d’avions concernés ? Quels dégâts éventuels ? Le lecteur n’en saura rien. Pas plus qu’il n’aura d’informations précises sur « le mitraillage en piqué de foules de civils manifestants pacifiquement dans les rues de Tripoli ou d’ailleurs ». Quant a eu lieu ce mitraillage ? Où se situe cet « ailleurs » ? [il récidive dans la même imprécision dans son interview au Parisien Dimanche où il parle de nouveau de "ces horreurs d'une guerre où on envoie des avions mitrailler des populations désarmées"].

Il ne s’agit pas de faire de la « critique facile », mais de rappeler que le journalisme est aussi un travail ingrat, difficile [et très dangereux dans le cas de la Libye] de collecte et de recoupement des informations. Un travail nécessaire pour que le lecteur comprenne ce qui se passe sur ce fameux « terrain ».

Mieux. Lorsqu’une information est de notoriété publique, comme la présence de Daniel Rondeau, ambassadeur de France à Malte, aux côtés d’Henri Guaino, pendant les vacances de Noël de ce dernier dans le Tripoli de Kadhafi, BHL annonce dans les colonnes du JDD qu’il n’a pas pu l’identifier. Il est vrai que Daniel Rondeau et Bernard-Henri Lévy ont un très vieux compagnonnage intellectuel et politique (notamment à propos de la Bosnie). Une omission révélatrice.

Autre épisode où le manque de précision (voire d’information tout court) est gênant. Il écrit qu’il a rencontré des membres du Conseil national de transition. Mais comment est organisé ce Conseil, qui représente-t-il, qui y siège, etc. ? Autant de questions qui n’auront pas de réponse, car l’important pour BHL est ailleurs. Il tient dans le fait que les membres de ce Conseil « m’ont fait l’honneur d’assister à l’un de leurs conseils et d’y prendre la parole ». Que s’est-il dit ? Quel(s) a(ont) été le(s) sujet(s) abordé(s) ? Là encore, le lecteur du JDD n’en saura rien. Il apprendra par la suite — s’il lit le Parisien Dimanche de la semaine suivante — que BHL a appelé Nicolas Sarkozy, à ce sujet.

Des commentaires, tous les commentaires, que des commentaires

Mais l’un des problèmes soulevés par cet article tient au parti-pris de l’auteur. Ce n’est pas tant l’engagement qu’il s’agit de remettre en cause que le traitement qu’il fait subir aux maigres informations qu’il recueille. Faut-il au nom d’une cause que l’on croit juste écrire ceci :

Ali Fadil, vieux professeur de physique-chimie qui expose dans son école désaffectée, des dessins de jeunes gens où l’on voit Kadhafi affublé de moustaches grotesques; Kadhafi grimé en Sa majesté des rats; Kadhafi en femme fardée et botoxée; Kadhafi nu, les mains cachant son sexe, en train de fuir une foule insolente et joyeuse; la tête de Kadhafi en train de se noyer dans une mer de sang, etc. Merveille d’imagination drolatique et d’invention populaire; la révolution donne du talent… [souligné par moi]

Au moment d’écrire ce  passage, il aurait dû se souvenir du conseil que reçoit tout journaliste débutant : « Contente-toi de raconter les faits, soit précis. N’en rajoute pas. Ne fait pas de commentaires, ils  affaiblissent ton propos ».

Il est vrai que ce texte a un rapport très lointain avec le journalisme et que son objet est tout autre. Le problème ne vient de son contenu, il aurait tout à fait sa place dans des pages « opinions » ou « débats », mais du statut que Le Journal du Dimanche lui a donné en le propulsant dans la rubrique « grand reportage ». Il offre ainsi un label de « bon journalisme » à cet article qu’il est très loin de mériter et montre que la loi de Gresham, « la mauvaise monnaie chasse la bonne », ne s’applique pas qu’à l’économie, mais aussi à l’information.

>> Article initialement publié le 13 mars 2011 sur le blog de Marc Mentré Media Trend sous le titre : “BHL ceci n’est pas du reportage”.

>> Crédits Photo FlickR CC : researchgirl / Jilligan86

]]>
http://owni.fr/2011/03/16/le-reporter-imaginaire/feed/ 18
[LIVE] Dans les rues du Caire http://owni.fr/2011/02/06/live-dans-les-rues-du-caire/ http://owni.fr/2011/02/06/live-dans-les-rues-du-caire/#comments Sun, 06 Feb 2011 12:51:51 +0000 François Hien http://owni.fr/?p=45439 Mardi 8 février

Hier matin, je rends visite à mes amis arrêtés la veille et relâchés au bout de quatre heures d’une invraisemblable violence. En frappant à la porte de chez eux, j’essaie de charger mon geste de toute la tendresse du monde pour ne pas qu’un instant ils puissent imaginer que je leur sois hostile. Plus tard, l’un d’eux dormant encore, je dois aller récupérer dans sa chambre un chargeur de portable. J’y pénètre doucement et je déambule à reculon dans la pièce, restant face à lui pour que s’il s’éveille il voit mon visage paisible et bienveillant. Je m’en voudrais terriblement que ma présence dans sa chambre réveille en lui, même un court instant, les sensations de la veille.

Je parviens à peine à me figurer qu’ils ont vécu une chose pareille.

Je les imagine une mitraillette sous le nez, puis dans un mini-bus de l’armée, les yeux bandés, exhibés à la population, mais l’image que je m’en crée est irréelle. Quelques heures après leur réveil, je sens que l’expérience de la veille commence à remonter dans leur corps… Le moindre bruit les fait sursauter.

Je suis saisi surtout par le contraste entre ma nuit sur Tahrir – l’expérience révolutionnaire – et leur arrestation – la terreur dictatoriale en action, inutilement violente. J’ai l’impression pour la première fois d’entrer dans la vibration de l’Histoire. L’étrange période que nous vivons, et qui m’apparaît de plus en plus inédite, est une dialectique des extrêmes. Ce que la politique fait aux corps, je peux le constater de façon saisissante en comparant les manifestants de Tahrir, la tête haute, le sourire large, le pas sûr, et mes amis visités hier par la police et dont la posture traduit encore ce qu’ils ont vécu.

J’ai cessé de comprendre ce qui se passe ici.

Il suffisait de ça pour en être d’autant plus pénétré. Certains évènements échappent à leur réductibilité au sens. Ils ne prennent leur ampleur véritable que dans l’opacité du vécu.
Nous en sommes réduits à cheminer dans le brouillard. De ce que nous pouvons comprendre, il nous semble qu’il y a dans l’armée des tendances opposées et qu’elles se soupçonnent mutuellement de préparer un coup d’état. Les discussions commencent entre les représentants politiques. Les policiers sont progressivement remis en place, sans qu’on sache si l’appareil répressif l’est également – les policiers réintégrés dans leur fonction ont le regard fuyant et la posture humble. Un commerçant du quartier nous a dit hier : “Ils ont l’air de fiancées peureuses, de petites vierges.” Il leur faudra du temps avant d’impressionner à nouveau. Les indic’ eux aussi sont revenus, en faible nombre. Nous traversons une rue hier sous les yeux en biais d’un homme se tenant sur le bord du trottoir, occupé à observer les habitants. Il a la touche d’un gangster de Verneuil. Lui aussi, comme les militaires qui ont visité mes amis hier, surjoue sa fonction, pourtant censément discrète.

Ce que je lis de la presse française m’accable. Je n’ai pas tout lu, évidemment, mais ce que j’en vois passe tout à fait à côté de ce qui me semble singulier dans les évènements égyptiens. On n’y parle que de l’Egypte de Moubarak. Tout a changé et l’on pense ce pays avec les critères anciens. Les données sociétales sur lesquelles s’appuient ces analyses ne peuvent être qu’obsolètes…

Les habitants de Tahrir ont toujours une longueur d’avance.

Aujourd’hui, ils débattent de la possibilité de restreindre leur territoire pour permettre aux ponts enjambant le Nil d’être réouvert à la circulation. L’idée serait de pérenniser l’occupation de Tahrir sans totalement paralyser la ville. La constitution de l’Egypte impose la tenue d’élections présidentielles dans les soixante jours suivant la destitution du président. La chute de Moubarak, si elle survenait, devrait accélérer un processus politique qui s’annonce ardu : il s’agit de créer une culture multipartisane dans un pays déshabitué du débat public. Il n’est pas impossible que les manifestants, tout en continuant à réclamer sa tête, s’habituent à l’idée qu’il restera jusqu’en septembre et s’organisent pour que Tahrir, d’ici là, reste ce laboratoire à ciel ouvert où peu à peu prend forme l’Egypte future.

Il y a d’autres batailles sur d’autres front, et d’abord l’obtention d’un renoncement total à la terreur par les autorités. Mais autorisons-nous à rêver : et si Tahrir restait, même au-delà du mois de septembre, un endroit d’expression et de rencontre librement organisé par ceux qui l’occupent ? L’Egypte ne serait plus seulement le pays des Pyramides mais le but d’un pélerinage politique où l’on viendrait se redonner le goût de la liberté.

Lundi 7 février

Sur la rue Talaat Harb, le premier check-point commence cinq cent mètres avant Tahrir. L’immensité de la mobilisation et le professionnalisme croissant dont font preuve les manifestants pour l’organisation de leur propre sécurité les a incités à annexé au territoire révolutionnaire les rues adjacentes à la place. Sur le premier barrage, une plaque de tôle ondulée porte l’inscription suivante : “Welcome to the Independant Republic of Tahrir”. Les policiers ne s’aventurent pas au-delà du check-point. Ici, les rapports de pouvoir sont inversés. Le long de l’avenue qui mène à la place, des rangées de volontaires, tous les trente mètres environ, vérifient à nouveau nos pièces d’identité et nous fouillent. Je soupçonne que ces différents barrages ont aussi pour vocation de repérer – à l’aide de ces critères à la fois objectifs et arbitraires qui surprennent tant dans la société égyptienne – qui pourrait être baltagueya, employé par la police. Arrivé sur la place, c’est le choc. Je ne l’ai pas vue depuis la fameuse bataille du 2 au soir : je l’avais quittée encore ressemblante à ce qu’elle était avant, les voitures en moins et les manifestants en plus. Elle s’est complètement transformée.

Je pénètre une autre ville.

Les commerces se sont installés en masse. Ils étaient présents dès le début, petits vendeurs de cigarette ou d’eau, le plus souvent déambulant et sans doute vivant d’habitude du tourisme. Maintenant, de véritables points fixes de vente se sont installés. On trouve à manger, mais pas seulement : des drapeaux, des chaussettes, des badges aux couleurs de l’Egypte. Parallèlement, des hommes et des femmes circulent dans la foule pour distribuer gratuitement du thé ou des biscuits. Les deux systèmes économiques coexistent paisiblement selon des arrangements spontanés qui m’échappent. Le coin Frères Musulmans que j’avais repéré la semaine dernière ne l’est plus. Leur point dominant est occupé à présent par des concerts. Je ne suis pas sûr que les évolutions que je tente de noter aient une signification réelle. Je ne crois pas que quiconque les ait décidées. La place est organique, elle se recompose en permanence en fonction de ses majorités de passage. Elle ne s’installe pas encore dans le temps, elle est une suite de moments de présent, s’actualisant pour rester cette membrane de réception sensible d’un mouvement qui n’en finit plus de réinventer ses formules.
Les tanks qui ferment la place du côté du musée des antiquités, là où s’est déroulée la bataille majeure, ont la veille semblé vouloir partir. Pour les habitants de Tahrir, ce serait la catastrophe. Si le rôle de l’armée reste d’une ambiguïté extrême c’est elle qui permet aux manifestants de relâcher la surveillance des frontières. Mais ils ne mettent jamais longtemps à trouver une solution. Autour de chaque tank, des centaines de dormeurs se relaient, la tête appuyée sur les chenilles, allongés sous le canon, mosaïque humaine enrobant les chars. Ces hommes n’ont pas sommeil, ils prennent leur tour de garde, s’allongeant à la place de ceux qui se relèvent pour rejoindre les manifestants. L’image est saisissante. Debout sur leurs tanks, les jeunes soldats semblent encombrés de leurs mitrailleuses. Un homme aimable vient me prévenir que je risque d’avoir des ennuis à les filmer de si près. C’est que j’oublie la puissance qu’ils représentent tant le peuple l’a mise en échec.

Les habitants de Tahrir ont mis en place un système de communication de masse dont je n’ai pas encore compris exactement le fonctionnement. Un sifflet retentit : immédiatement, il est relayé par des jeunes hommes qui, en faction, tapent sur les mats des lampadaires à l’aide de pierres. La plupart des hommes se met alors à courir dans une direction précise. L’afflux soudain est étonnant. La masse des hommes se dirige vers les trois tanks dont je suis proche. Les soldats tirent des rafales de mitraillettes en l’air : très impressionnant pour moi, mais ça fait rigoler tous ceux qui m’entourent, comme d’un dernier et attendrissant sursaut de vanité. La semaine dernière, le 30, un avion militaire ultra-sonique tournait au-dessus de la place et passait en rase-motte, produisant un son assourdissant. La première fois, tout le monde avait sursauté. Dès la deuxième, on riait en haussant les épaules. L’opération était apparemment destinée à démontrer la force et la puissance de l’armée – peut-être également le signe d’une concurrence entre armée de terre et de l’air, pas exactement sur la même ligne (Moubarak était pilote pendant la guerre de 73). Elle a eu surtout pour conséquence que depuis les Cairotes disent en choeur que Hosni est devenu fou. A partir de ce ridicule spectacle aérien, on s’est moqué de lui plus encore qu’on ne l’a haï. Hier soir, plusieurs alertes de ce type sont lancées successivement (sifflet strident suivi de coups sur les lampadaires) sans que jamais l’évènement qui l’ait causé ne me semble majeur.

Ça se confirme : Tahrir est décidément l’endroit le plus sûr du Caire.

Tahrir est un palimpseste géant en perpétuel renouvellement. On écrit beaucoup depuis la révolution. Des hommes marchent lentement tout autour du rond-point en tenant de grands écriteaux où ils ont exprimé leur singulière manière de congédier Moubarak. Chacun d’eux s’arrête devant moi pour que je le filme. Sérieux derrière leurs bouts de carton, prenant la pose, soutenant de leur regard profond le texte qu’ils ont écrits et que je ne comprends pas, il sourient tendrement dès que je leur fais signe que mon plan est fini. Il y en a tant que je suis obligé de me mettre à les ignorer. Le grand drap blanc que les manifestants avaient laborieusement tendu la semaine dernière pend maintenant lamentablement. D’y avoir vu Moubarak les insulter, le soir du premier février, leur a peut-être ôté l’envie de l’utiliser pour projeter des images de télévision. Ce n’est pas grave, Tahrir n’a pas besoin d’images produites ailleurs, ses habitants sont capables d’inventer leur imaginaire. Les hauts-parleurs qui servaient à diffuser le son de la retransmission sont utilisés à présent par des orateurs inconnus qui se relaient au micro. Je me fais traduire leurs harangues. Ce sont des mises en garde contre les infiltrés du gouvernement ; des annonces concernant un besoin urgent de volontaire pour tel ou tel check-point ; l’annonce d’un évènement… Entre deux annonces, d’autres font des discours politiques ou scandent des slogans que reprend la foule.

La foule n’est pas structurée une fois pour toutes autour de points fixes qui rallieraient les masses. Un endroit clairsemé deviendra bondé parce qu’une discussion peu à peu aura été rejointe. En revanche, la foule délaissera un orateur imprécis, laissant ses hauts-parleurs diffuser dans l’espace vide, déplaçant ainsi les points de densité. Plusieurs fois, des discussions s’initient entre des manifestants et moi autour desquelles, très rapidement, se coagulent une foule de curieux qui tous ont quelque chose à dire. Ils ne savent pas le formuler en anglais et, pressée par des interventions de toute part, la personne à qui je parlais initialement se trouve contrainte de me traduire tout ce qui se dit autour. Il n’est pas rare qu’un des manifestants, pris d’une envie de monologue, prenne au piège de sa loghorée les anglophones condamnés à me la traduire, jusqu’à ce qu’ils en aient assez et s’éloignent sans avoir pu s’exprimer en leur nom.

La discussion principale se divise en débats parallèles entre tous ceux qui n’ont pas réussi à capturer l’interprète contre son gré. Et nous voici en quelques minutes au centre d’un groupe compact, là où il n’y avait juste avant qu’un lieu de circulation fluide, et sans qu’il soit possible de distinguer, dans le groupe ainsi formé, les interlocuteurs qui en étaient à l’origine. Je circule un moment entre les groupes, avec l’impression d’être un corps inerte se laissant aller à l’attraction naturelle qu’exercent sur lui des masses puissantes de matière mouvante. Un attroupement célèbre des blessés. On les voit beaucoup ce soir, les blessés aux yeux pochés, au crâne bandé, à la patte lourde, et la foule sait les fêter. Depuis la bataille nocturne du 2, le pouvoir n’a plus osé envoyer ses sbires. C’est à partir de ce moment que Tahrir s’est sédentarisé et que les commerces sont réellement apparus. Il semble que cette bataille ait comme autorisé les manifestants à se sentir chez eux sur la place – elle n’est plus seulement un contenant circonstanciel de leur soulèvement ; elle est devenue le lieu dont l’organisation interne figure littéralement la nature de leur mouvement. Ils ont gagné le droit d’en faire un symbole. On comprend donc que les héros de cette nuit là soient fêtés. Je vois, autour de deux hommes blessés tenant une bougie et souriant tendrement, tout éberlués, un groupe faire la ronde en chantant.

Je rencontre Shalppy, un copte résidant au nord de Louxor. C’est la première fois qu’il vient à Tahrir depuis le début des évènements, il a fait cinq cent kilomètres pour venir constater l’improbable. Alors que la foule est plus éparse que les jours de grosse mobilisation (les vendredis et mardi dernier), et que je craignais qu’elle ne comporte que des “habitués”, je rencontre au contraire plusieurs personnes qui me disent venir pour la première fois. L’un d’eux, un jeune homme apparemment pauvre, me dit : “Jusqu’à récemment, je croyais ce que disait la télévision nationale. Mais ses mensonges sont devenus tellement éhontés que j’ai eu envie de venir voir moi-même.” Et de remercier la chaîne nationale de l’avoir aidé à franchir le pas. Shalppy vit de petits boulots liés au tourisme, évidemment impossibles en ce moment. Il a des rudiments de français qu’il lui tarde d’utiliser. Passionné de littérature, lui-même voulant écrire, il se désole de n’avoir ni le temps ni les moyens de s’acheter des livres. J’évoque rapidement la question religieuse qui pour lui n’en est pas une : “nous sommes tous égyptiens, l’islam d’ici est modéré”. Shalppy a trente-cinq ans. Il voudrait fonder une famille un jour mais ne le peut pas financièrement.

Les évènements survenus en Egypte depuis le 25 janvier sont un basculement politique majeur. Mais il ne faudrait pas qu’il cache une autre révolution qui, elle, n’a pas besoin de la chute de Moubarak pour être déjà accomplie. Cette deuxième révolution, plus secrète, moins visible, que jamais n’évoquent les médias occidentaux, occupés à construire la menace islamiste, est sociétale. Il est frappant de constater que les causes de la révolution, quand on les évoque avec les manifestants, sont souvent liées à des questions de société. La situation économique catastrophique et sans perspective de changement dans une atmosphère de corruption généralisée place les jeunes gens dans une position d’indigence qui ne leur permet plus de se marier. Cette situation est très fréquemment évoquée comme raison de l’insurrection : plus personne ne pouvait se marier avant trente ans. Dans le regard de Shalppy, je ressens une tristesse teintée d’amertume, comme si cette révolution arrivait un peu tard pour lui. Il a déjà derrière lui une vie de rêves brisés.

Il est venu pour tenter de croire à son propre avenir.

Rien de tel chez Ahmed et Hossam, deux frères qui sont depuis le début sur Tahrir. Ahmed a 22 ans, il est un peu timide, pratique un anglais hésitant, boit occasionnellement de l’alcool et est obsédé par les femmes ; Hossam a 20 ans, il est brillant, audacieux, et fait ses cinq prières. Il étudie le chinois, langue de l’avenir. Ces deux frères sont gais et rieurs, impossible de ne pas les aimer au premier instant. Ils ont été de toutes les batailles, ont vu des morts et des blessés et gardent un sourire enthousiaste, prêts à s’amuser de tout, désamorçant tous les débuts d’inquiétude et sûrs de leur puissance.

Que se passerait-il pour l’Egypte, d’un point de vue sociétal, si chaque ville avait son Tahrir, lieu d’expérimentation d’une société qui se regarde comme pour la première fois ? Je me suis rapidement renseigné aujourd’hui sur la situation dans les autres villes d’Egypte. Si les manifestations y restent très importantes, aucun lieu n’est occupé de façon permanente. Ailleurs qu’à Tahrir, on en est encore au soulèvement – avec courage et persévérance, ce dont il faudrait écrire également l’histoire ; mais à Tahrir, c’est déjà la Commune. Demain, je m’inquièterai de ce décalage et de son danger pour l’unité du mouvement et de la société qui le porte. Je tenterai de comprendre quelles cartes le régime va tenter d’abattre. Mais aujourd’hui, je voudrais m’offrir le luxe de n’avoir qu’une chose à faire : m’émerveiller.

La société égyptienne a décidé de se donner en spectacle sur Tahrir. Elle ne s’affranchit pas d’elle-même comme dans les révolutions d’inspiration marxiste, exigeant de son peuple qu’il renonce à ce qui le lie. Elle vient se montrer à elle-même – se révéler au sens photographique – par un acte tautologique. L’utopie n’est plus : voilà ce que je pourrais ou devrais être ; elle est : voilà ce que je suis.Trente ans de dictature ne l’ont pas fait cesser d’être, sous le boisseau, cette grande société ouverte, fière de ses ascendances glorieuses et contrastées. Dès le premier jour de la révolution, elle l’est redevenue, retrouvant tous ses réflexes d’ouverture. A l’extérieur de Tahrir, les regards sur les étrangers sont devenus parfois méfiants ces derniers jours. Sur Tahrir, personne ne s’étonne de ma présence.

Il suffit d’en passer les frontières pour retrouver l’Egypte.

Les amis chez qui je loge m’appellent à deux heures du matin, très inquiets pour moi. A sept heures du soir, la police militaire a débarqué chez eux, armée jusqu’aux dents. Mitraillettes sous le nez, menottes, bandeaux sur les yeux, tous les ingrédients de la terreur sont réunis. Ils sont amenés dans un premier quartier militaire, puis dans un secteur de haute-sécurité dont ils ignorent la position dans la ville. Les ordinateurs sont fouillés mais heureusement vides d’images embarrassantes – mises à part des photos de jeunes femmes dénudées dont les militaires se régalent, tout en nous blâmant de les posséder. Mes amis sont finalement libérés. Ils me déconseillent de quitter Tahrir : on est en plein couvre-feu et l’armée tient apparemment à faire subir la même et humiliante procédure à tous les étrangers qui le bravent. Je dois passer la nuit là si je veux l’éviter.

Hossam et Ahmed m’entrainent dans le down-town de la place : ce qui fut autrefois le terre-plein du rond-point est devenu un véritable bidonville. Des chemins de terre boueux nous font circuler entre d’improbables constructions de toile cirée, de nattes, de bâches transparentes. Le sol où les gens dorment est jonché de tapis. Certains ont tiré une ligne des installations électriques de la ville et consultent leurs ordinateurs. Si la disposition des hommes pour la prière est toujours d’une géométrie irréprochable, celle des dormeurs est anarchique, en tous sens, suivant le sinueux tracé des sentiers que personne n’a décidé. Il n’y a rien de normatif dans l’organisation de cet espace de vie. Certains de ses quartiers sont d’une propreté impeccable ; nous en traversons d’autres jonchés d’ordure et dans l’un d’eux, où dorment des centaines de gens, l’odeur d’urine est insupportable.

Les habitants de Tahrir, pour être réunis ici, n’en réforment pas pour autant leur façon de vivre ou leur degré d’exigence de propreté. Au fond, les Egyptiens font la révolution comme ils conduisent, à l’instinct. Ici, le klaxon sert de radar aux automobilistes. A l’approche d’un croisement, on prévient simplement qu’on arrive et puis on verra bien. Des feux rouges ont été installés il y a quelques années. Ils ont fonctionné plusieurs mois sans que personne les respecte ; à présent la lumière orange clignote en permanence, ne servant plus qu’à témoigner de l’incapacité de l’état à imposer des règles.  Le code de la route ici doit consister en la formule suivante : rouler à droite – quand c’est possible. Je n’ai jamais compris l’anarchisme ; il m’était introuvable. Comme la circulation routière au Caire, Tahrir en est pourtant une belle image : l’anarchisme, c’est la société sans l’état. Et au Caire ça veut dire : l’ordre sans la violence. Est-ce que ça pourrait durer ? La question n’est pas là. Ne durerait-il qu’une nuit, le phénomène n’en serait pas moins inouï.

Nous y voici au “moment révolutionnaire” – cet instant de mutation chimique des corps et des esprits…

Ce n’est pas la première fois que je l’observe, le paradigme révolutionnaire en action. Le saisissement simultané des êtres par la puissance de vie. Toujours, jusqu’alors, dans des lieux circonscris et des communautés homogènes. Je n’imaginais pas le voir un jour à cette échelle. Pour la première fois, j’emploie le mot peuple en sachant ce qu’il désigne. La vie a repris depuis deux jours au Caire. Pas complètement, évidemment. Mais les banques ont rouvertes, les bureaux également… Ce sont les mêmes, souvent, qui sont sur Tahrir et parallèlement ont repris le travail

Bien-sûr, l’Egypte ne sera pas vertueuse après-demain, le système de corruption s’est installé bien au-delà des dépendances réelles du pouvoir central. Le processus de négociation sera peut-être décevant. Mais ce moment, pour toujours, aura été vécu. Je ne vois pas comment ses effets chez ceux qui s’en sont fait traverser pourraient disparaître. La dictature change les corps, elle les accable sous le poids de sa permanente surveillance. Qu’on ne s’étonne pas, dans ce contexte, que la religion en profite pour rigidifier ses codes et ses diktats. Une société où l’on doit se méfier de son voisin, arrêté arbitrairement un beau matin et contraint d’être indicateur le lendemain, incite à s’observer mutuellement et à tiquer sur les cheveux aux vents d’une telle, le manque d’assiduité à la prière d’un autre, la précoce rupture du jeûne d’un troisième. Les consciences sont rétrécies en régime policier, et les corps contraints. Sur Tahrir, on ne s’observe que pour séduire ou s’amuser. Toutes les tendances s’y mêlent sans que nul n’ait même l’idée de reprocher à l’autre la façon dont il vit. Les Egyptiens ne sont pas strictement pieux ; ils ne sont que bigots – de cette bigotterie de la peur. Elle disparaitra avec sa cause, le régime.

On trouve, entre deux dormeurs, une place large comme un homme allongé. On s’y encastre à trois, en poussant un peu nos voisins. Je ne dors que vingt minutes. Le froid me réveille et je passe le reste de la nuit à trembler et à chercher une position où ma caméra et mon enregistreur ne me rentrent pas dans les côtes. Je regarde la bâche transparente au-dessus de moi vibrer dans le vent. Des respirations nombreuses, certaines timbrées comme des prières, en accompagnent le bruissement. Depuis que je suis ici, jamais je n’ai voulu participer à la moindre action révolutionnaire, fut-elle anodine. Je ne porte pas de panneau, je ne répète aucun slogan et je ne donne que prudemment mon avis : il serait inconvenant que je me fasse une place dans le soulèvement contre une dictature dont je n’ai pas souffert. Mais cette nuit-là, j’ai trouvé le lieu exact de mon implication, élément parmi d’autres d’une mer de respiration dont l’inertie ne limite pas la puissance. Sonneries des réveils peu avant la prière, vers cinq heures. On se lance à la recherche de l’une des chaussures de Hossam, perdue dans la marée humaine qui s’ébroue lentement de sous ses toiles cirées. Les vendeurs de thé sont déjà prêts. On urine dans un chantier adjacent à la place, paysage surréaliste. Il fait très froid, ce qui n’empêche nullement les hommes de faire leurs ablutions à l’eau glaciale.

L’appel à la prière commence.

D’une position dominante, je vois les hommes courir prendre leur place dans l’assemblée, créant naturellement les lignes et les colonnes qui, peu à peu, les transforme en damier géant. Quelques femmes, comme nous, les regardent faire. Beaucoup de dormeurs sont encore sous les bâches du down-town. Trois jeunes femmes aux voiles colorées font des sourires à mes deux nouveaux amis, qui se liquéfient. Le haut-parleur tombe en panne pendant la prière, au moment où les prieurs commencent à répéter “amen” après chaque phrase de l’imam. Qu’ils ne l’entendent plus ne les empêchent pas de continuer, et de graves “amen” retentissent à intervalles réguliers sur la place, entrecoupés de silence. Finalement, un des prieurs remplace de sa voix tonitruante l’imam devenu inaudible. Mais au lieu d’un verset, il hurle : “Eran, eran, Hosni Moubarak” et sans tiquer, comme ils répétaient les sentances coraniques, les prieurs reprennent en choeur le slogan. La journée militante peut commencer, dont l’énergie collective est directement puisée de la prière.

Aujourd’hui, ils ont encore prévu de nous surprendre. Au programme un footing au rythme des slogans, la construction d’un mot géant par la disposition précise de manifestants, et déjà je vois affluer de nouveau ceux qui ne passent pas la nuit sur place. Le soleil se lève, éclairant par leur face orientale des nuages soudain étincelants. Il nous reste une heure à tuer avant la fin du couvre-feu. Hossam est survolté. Il en a marre de tourner en rond autour du bidonville. “As if we were in fucking Saoudi Arabia” ajoute-t-il joliment en évoquant La Mecque. Il veut absolument convaincre son frère d’écrire un mot avec les pierres brisées regroupées en tas depuis la bataille du 2 février. C’est qu’on en fait des efforts, sur Tahrir, pour que les pilotes d’hélicoptères qui tournent en permanence au-dessus de nous ne s’ennuient pas. Ahmed propose de former le mot “sex”, puis “blondie girl”. Hossam laisse tomber. Il me fait écouter la chanson “Aïcha” sur son portable, dont je lui traduis la partie en français tandis qu’il m’explique la partie en arabe. Vaincus par la fatigue et la nervosité, nous rions tellement que nous n’arrivons même plus à parler.

J’écris cet article dès mon retour à l’appartement, au petit matin. Cette nuit, la république indépendante de Tahrir m’a offert l’asile politique. Depuis que j’en ai repassé la frontière, difficile de ne pas me sentir en exil…

Dimanche 6 février

La ville du Caire est construite au bord d’un désert. La pluie est très rare. Hana me raconte que lorsqu’elle survient les Egyptiens paniquent. Les automobilistes, qui pourtant n’ont peur de rien, se rangent sur le côté de la route au moindre crachin. Hana se retrouve seule à des réunions prévues de longue date et, quand elle appelle ceux qui lui avaient donné rendez-vous, inquiète de leur absence, ils lui répondent sur un ton d’évidence : “Mais enfin, tu n’as pas vu ? Il pleut !” Les enfants ne sont pas envoyés à l’école, les magasins ferment… Hier, sous la pluie fine qui tombait sur Le Caire et nettoyait l’atmosphère des dernières traces de gaz ou de fumée, des milliers et des milliers de manifestants continuaient à faire la queue devant les entrées de la place Tahrir. Le régime doit trembler plus que jamais : le peuple cairote a bravé la pluie.

Incertitudes

Hier, j’ai ressenti pour la première fois une tension intérieure déplaisante. Jusqu’alors j’avais admiré et soutenu sans réserve les manifestants de Tahrir, ébloui par leur intelligence collective, leur gaieté, leur sagesse… Mais le changement de mentalité dans la population, qui commençait à se lasser de l’état d’urgence imposé par les manifestants, me faisait craindre très sérieusement une scission dans la population égyptienne. J’en venais à me dire qu’il valait peut-être mieux que les manifestants lâchent Tahrir et rentrent chez eux, tout en restant très vigilants vis à vis du processus politique de transition annoncé par les autorités. Vendredi, la mobilisation était ahurissante ; elle ne l’était pas moins hier. Et les mentalités ont basculé de nouveau dans les couches populaires qui subissent de plein fouet les effets de la paralysie du pays. La répression terrible de la semaine dernière, suite au discours de Moubarak, a bien révélé que le régime n’avait aucune intention de changer ses méthodes policières. Il n’en a pas fallu plus pour que les indécis repassent – au moins pour l’instant – du côté des contestataires. Maladroit pouvoir qui n’a pas compris ce qui s’était passé dans son peuple : ce régime se conduit comme un père tyrannique qui croit encore pouvoir battre son fils majeur. Il ne sait pas ce dont est capable sa propre société – le savait-elle elle-même ? Hier soir, un des jeunes qui protègent le quartier nous disait : “Moi je n’ose pas aller à Tahrir mais je suis fier de ce qu’ils font.”

Un peuple uni sur la place Tahir

Ce matin, les coptes ont prié sur Tahrir, avant de laisser la place à la prière musulmane, preuve s’il en était besoin de l’absence de sectarisme dans le mouvement. Hier, de nombreux officiels du PND ont été remplacés, dont Gamal Moubarak, le fils du dictateur autrefois promis à sa succession. De nombreuses personnalités publiques, autrefois très attachées au régime, vont se montrer sur Tahrir, jouant du coude pour se faire une petite place parmi les résistants de la dernière heure. Les rats quittent le navire. La foule de Tahrir, pacifique, immobile, énorme masse d’énergie, semble irradier autour d’elle les effets de sa puissance magnétique, annellations concentriques qui, à distance, effritent comme des chateaux de sable lêchés par la mer tous les lieux du pouvoir finissant.

La place Tahir, Le Caire -Vendredi 4 février Feb4 - 11::33

Photo CC monasosh

Avoir obtenu que le régime dialogue avec ses opposants – ce qui semble imminent – est déjà inouï. Mais ce que les manifestants ont réalisé n’est pas réductible aux institutions politiques. La révolution sociétale est sans précédent. La place n’est plus seulement un vaste slogan répété en choeur. Des lieux de débats s’y sont ouverts. La question à présent est : comment traduire dans la vie politique la force populaire révélée ces derniers jours ? Il est évident que de nombreux manifestants se sentiront dépossédés de leur révolution par le processus de transition que seule leur volonté aura pu déclencher. Ils restent sur la place comme pour dire : “N’oubliez pas qui nous sommes…” Ce peuple n’est pas architecturé selon des mots d’ordre ou des idéologies rédigées ailleurs. Il ne repose sur rien que sur sa propre unité retrouvée.

Ce matin, en marchant sur les bords du Nil, je me suis arrêté devant un des très vieux arbres qui bordent l’avenue de la Corniche. Des lianes épaisses et noueuses tombent de ses branches et atteignent le sol qu’elles finissent par craqueler puis perçer, plongeant dans la terre de nouvelles racines. L’arbre est devenu une vaste architecture de fines colonnades où le tronc ne se distingue plus de ses avatars. Il est énorme cet arbre, son ampleur est inouï, mais il semble n’être soutenu par rien, aucun tronc à sa base ne paraît assez large pour en supporter le poids. Quand on le regarde de plus loin, on a l’impression qu’il flotte, nuage de feuilles qui laisse pendre sous lui des lianes prenant racine…

Samedi 5 février

Le pouvoir égyptien joue avec nos nerfs. Il est chapitré comme un roman stratégique dont nous essaierons ces prochains jours de retracer le déroulement. Depuis hier, nous sommes entrés dans une nouvelle phase. Le discours avant-hier de Souleiman, le vice-président nommé la semaine dernière, nous a semblé abattre la dernière carte de Moubarak. Tout avait été concédé, hors son départ. Quatre millions de manifestants lui ont répondu hier. Dans l’après-midi nous avons cru que le dictateur serait démis. Rien ne s’est passé et nos spéculations nous épuisent.

La réalité des check-points

Hier dans la journée, impossible de tenir : je décide d’aller sur la place Tahrir. Si le régime tombe, je ne veux pas le voir à la télévision. On annonce des baltaguayé (ces hommes employés par la police pour commettre des actes violents et illégaux) sur l’avenue qui de chez nous mène à Tahrir. Je cherche à faire le tour par la Corniche, les quais longeant le Nil, mais toutes les rues sont barrées par des check-point de l’armée. Une rue ne l’est que par un comité de quartier que j’imagine bienveillant. Le jeune homme qui m’arrête et me demande ma pièce d’identité me fait signe de le suivre et m’amène tout droit à un militaire gradé qui, à quelques pas de là, s’ennuie avec une grande conscience professionnelle. Il tique sur les déchirures de mon jean, dont je dois lui expliquer qu’elles sont dues à la mode européenne – d’ailleurs dépassée – et non à des bagarres auxquelles j’aurais participé. Suspicieux comme son métier l’exige, il me garde vingt minutes avant de me relâcher. Je décide de passer par l’autre côté après m’être assuré auprès des comités de quartier, ceux que je connais, que le chemin était sûr. Plus loin un autre barrage militaire semble ne laisser passer personne ; je n’ose pas même le tenter : s’il dépend du même gradé, je ne voudrais pas courir le risque de me retrouver à nouveau devant lui.

Au retour les comités de quartier font des difficultés pour me laisser entrer dans la rue où je loge. Ils veulent m’accompagner et je cherche à ne pas leur faire voir où je vais. Je ne sais plus de qui je peux être sûr. Ces jeunes gens ne sont pas agressifs : depuis une semaine, ils se chargent tous les soirs du travail de la police et sont simplement agacés de devoir assurer la sécurité d’un étranger qui brave le couvre-feu. On les comprend. Je rentre sans avoir rien pu voir.

Dans la soirée, situation d’urgence : rumeur à propos d’un Français qui a reçu la visite de douze agents de la police militaire, armés et vêtus de gilets pare-balle (on n’est jamais trop prudent). Ils auraient saisi ses ordinateurs et sa caméra. Me voici sur le toit de la maison, planquant mes disques durs sous des bâches poussiéreuses. Tenant à ma sécurité et à celles des amis qui me logent – et qui ont plus à perdre que moi dans cette histoire – plus qu’à la gloire de couvrir l’évènement, je décide de ne plus tenter d’aller sur la place Tahrir. Mes sources d’information sont suffisamment nombreuses et de première main pour que je m’abstienne de mourir pour une cause qui, si j’y suis intellectuellement et affectivement impliqué, n’est pas la mienne.

On s’habitue à tout : la soirée est presque joyeuse. Je m’installe confortablement dans le confinement.

Un tank sur un checkpoint de civils à Maadi, Le Caire

La défiance des alliés de l’Egypte

Ce matin, annonce de l’explosion d’un pipe-line dans le Sinaï. Nous sentons que nous abordons une phase nouvelle de la crise égyptienne, où les questions stratégiques régionales vont devenir aussi déterminantes que les problèmes intérieurs. Les alliés de l’Egypte ne font plus confiance à Moubarak pour réprimer le désir de démocratie de son peuple. Sont-ils en train de s’y mettre à leur tour ? Ce matin, dans la presse internationale, on ne parle que des Frères Musulmans, pourtant très minoritaires ici. Comment leur offrir un boulevard en prétendant les combattre… Scandaleux articles pleins de contre-vérités sur les sites du Figaro et du Point. De la gauche française, nous n’attendions plus grand-chose ; mais que la droite de tradition gaulliste ne comprenne pas sa parenté politique avec les révolutions arabes, voilà qui m’accable. Alliot-Marie interdit aux chercheurs français présents en Egypte de s’exprimer dans les médias sur la situation, au nom du devoir de réserve. Elle a bien raison : si les observateurs compétents se mettent à intervenir, où va-t-on ?

Direction Zamalek

Nous décidons de sortir pour aller à Zamalek, une île sur le Nil. Pour éviter Tahrir, le taxi fait un large détour. Alors que l’avenue de la corniche est absolument déserte, le trafic a retrouvé sa traditionnelle et rassurante anarchie dès que nous passons le fleuve. Les Égyptiens ne pouvaient longtemps cesser d’être eux-mêmes. Quand, il y a quelques jours, nous avions fait un tour dans des quartiers populaires éloignés du centre, si le souk touristique était désert et ses échoppes fermées, le marché populaire qui le jouxte était bondé et abondamment achalandé. La circulation des marchandises dans cette ville est surprenante : alors qu’on fait la queue dans les magasins des quartiers bourgeois, en rupture de tout, les couches populaires, sans doute alimentées par leurs familles à la campagne, ont de quoi se nourrir.

Aujourd’hui, les habitants sont rassurés par l’allègement du couvre-feu qui commence à présent à 19 heures. Ils ont retrouvé leur amabilité naturelle. Il est temps, en marge de notre souci, de retrouver le plaisir d’être au Caire. La situation reste préoccupante. Les dangers sont innombrables pour ce mouvement populaire que de nombreuses forces tentent de diviser. Jusqu’à présent, nous n’avons pas été déçu par ce peuple, par son intelligence et sa sagesse collectives – c’est d’ailleurs une première dans ma vie d’observateur politique. Nous avons envie de continuer à lui faire confiance. Sur le chemin tout à l’heure, nous avons observé un oiseau superbe entre les grilles rouillées d’une maison coloniale abandonnée. Sa tête était surmontée d’une crête zébrée qui, partant vers l’arrière, donnait à son allure assurance et fierté. Ses ailes étaient repliées en une longue queue pointue striée de barres blanches et noires ; il les a soudain déployées pour s’envoler. La crête s’est ouverte en éventail, comme de colère. Ce petit oiseau, d’une paisible puissance, est un hud-hud, un oiseau déjà présent à l’ère pharaonique. Il est devenu rare d’en voir ; les Égyptiens disent que ça porte chance…

Vendredi 4 février

Dixième jour d’une révolution égyptienne qu’on a cru souvent victorieuse, contre un régime qui n’en finit pas de ne pas encore tomber et qui abat l’une après l’autre ses cartes répressives. Au Caire, le mouvement de protestation a principalement investi la place Tahrir, alternativement ou simultanément lieu festif, tribune politique et champ de bataille, divisée depuis deux jours en secteurs fonctionnels spontanément découpés pour permettre aux manifestants une efficacité maximale. La place, d’un côté, se prolonge en une artère plus étroite aboutissant à une deuxième place, que surmonte une bretelle de voie rapide. C’est là que la bataille s’est concentrée la nuit de la contre-révolution, entre le 2 et le 3. Elle opposait les manifestants aux forces de police en civil et aux “baltagueya”.

C’est dans l’après-midi du 2 que la place, très pacifique, a été envahie par de soi-disant “pro-Moubarak”, certains montant des chevaux et des chameaux. Les manifestants mettent immédiatement à l’écart les femmes et les enfants et sautent sur les chevaux et les dromadaires pour s’en emparer. Peu à peu, les entrées de la place sont sécurisées par des lignes de manifestants se tenant le bras tandis que les agitateurs arrêtés sont livrés à l’armée. Armée dont on ne comprend pas le rôle étrange : elle apparait parfois aux côtés de la police, allégeant ses dispositifs de contrôle et n’intervenant pas pour empêcher le massacre ; à d’autres moments, elle semble remplir son office et arrête les infiltrés, tout policiers qu’ils soient.

Un front principal se dessine peu à peu, au bout de la place, près du musée des antiquités égyptiennes. La nuit tombe. Elle va être longue. Sur le front, les manifestants se positionnent en lignes et organisent un système de relai. Les blessés partent à l’arrière et sont immédiatement remplacés par d’autres, qui attendent juste derrière. A quelques dizaines de mètres du front, une véritable industrie s’est mise en place pour fournir des projectiles aux combattants : des hommes cassent des gros blocs de trottoir qu’ils brisent ensuite en plusieurs petits morceaux en les frappant contre les barrières métalliques qui bordent la rue. Les sons des coups envahissent cette partie de la place.

De l’argent pour les pro-Moubarak

Parfois, leurs rythmes se confondent et semblent la marche au pas d’une grande armée de métal. A d’autres moments, les rythmes se distendent et évoquent une composition de musique industrielle. Sur le front, un premier manifestant a l’idée de placer à la verticale une barrière de tôle ondulée, bientôt imité par d’autres. Deux lignes de barricade sont crées en une demi-heure. A présent, les manifestants courent à l’avant lancer leurs projectiles puis repartent se réfugier derrière elles.

Les escaliers de la station de métro servent de prison provisoire pour les “pro-Moubarak” arrêtés. On trouve dans leurs poches des cartes de la police ou du PND, le parti du régime. Un immeuble, dominant le champ de bataille, a été investi par des baltagueya qui jette depuis ses fenêtres des cocktails molotov et des pierres sur les manifestants. La prise de cet immeuble devient un enjeu majeur de la bataille. Les manifestants, parvenant à s’en emparer, découvrent des habitants terrorisés. Un appartement sert de prison. Des baltagueya témoignent : on les a forcés à participer, ils ont reçu de l’argent, s’ils refusaient ils étaient battus et leurs biens étaient confisqués. Ces gens sont les plus miséreux des Égyptiens. Ils parlent des méthodes de la police avec un ton qui ne laisse pas de doute quant à leur opinion sur le régime.

A l’arrière, au cœur de la place, une clinique s’est organisée. Une rumeur circule à propos des hôpitaux : les ambulances ont été investies par la police qui s’en sert pour arrêter les manifestants. J’ai vu passer ce soir-là, dans une rue venant de la place, une curieuse ambulance conduite par des officiers et à l’arrière de laquelle des hommes assis semblaient plutôt arrêtés que blessés. Le lendemain, l’information nous a été confirmée : les blessés hospitalisés sont livrés à la police dont on connait les terribles méthodes de détention. Sur la place, décidés à ne faire confiance à personne, des docteurs soignent eux-mêmes les blessés. Ils pansent des plaies, recousent des arcades, bandent les crânes. Les blessés, allongés sur les espaces herbeux de la place, sont soignés par des femmes qui leur apportent de l’eau et de la nourriture. La grande mosquée de la rue Bolivar, à l’angle opposé du champ de bataille, est également transformée en clinique.

La place est bouclée dans les deux sens et ceux qui voudraient la quitter ne le peuvent pas. La panique monte. Certaines personnes, présentes sur la place depuis des jours, ne réagissent même plus aux coups de feu tant ils sont épuisés. La place en son centre est une grande vibration de peur qu’entourent à ses entrées des bataillons d’héroïsme.

Coordination sans leader

La voie rapide au-dessus de la rue est prise, puis perdue, puis reprise par les manifestants. Des hommes dont on soupçonne l’appartenance à la police secrète montent sur les toits et tirent à balles réelles sur les manifestants. Tant que la voie rapide n’est pas gagnée par les manifestants, des troupes de baltagueya peuvent encore grossir. Sa prise est donc primordiale. Il ne s’agit pas tant de gagner du terrain que de tenir toute la nuit en évitant un massacre. A quatre heures et demie, le pont est repris, les tirs de sniper cessent. Simultanément, le musée des antiquités est investi par les “pro-Moubarak”. Son toit leur sert également de base pour jeter sur les manifestants des cocktails molotov. Le feu prend dans une aile du musée, vite maitrisé, et dont le gouvernement accuse les manifestants. Le lendemain, l’actuel directeur des antiquités égyptiennes, membre du régime, affirmera aux médias qu’il n’en est rien, que le feu a été allumé par la police. Toute la journée d’hier, les manifestants formaient une chaine autour du musée pour le protéger, viscéralement attachés à leur trésor national et soucieux de n’être pas accusés de vandalisme.

Il est rare de pouvoir admirer sans retenue des héros que rien n’entache. Ces hommes et ces femmes, qui se coordonnent sans leader et sans mot d’ordre, réussissent à créer une armée spontanée, avec son front et son arrière-pays, et à tenir tête aux puissantes forces armées de l’état policier. Au petit jour, les voix des muezzin n’ont pas couvert les derniers coups de feu. Mais les manifestants peuvent se dire victorieux. Ils n’ont pas lâché : la place Tahrir reste leur prise.

Pendant la matinée, la place est entièrement nettoyée. Les manifestants, depuis le début, ont a cœur de donner une bonne image d’eux-mêmes. Tous les jours j’y ai vu des volontaires ramasser les ordures ou écouler l’eau d’une canalisation brisée par les batailles. La place n’a jamais été aussi propre qu’en ces jours de révolution. Peut-être est-ce ça, d’ailleurs, la révolution : se mettre à prendre soin de l’environnement collectif parce qu’on se l’est réapproprié. Les débris de trottoir sont ratissés et posés en tas devant les barricades, prêts à servir au cas où. Et les protestataires qui ont réussi à tenir toute la nuit sont rejoints peu à peu par des milliers d’autres manifestants qui, sur les lieux mêmes où les héros mourraient la veille, refont de la place un lieu festif et joyeux. Nous sommes ahuris : rien n’arrête la détermination de ces citoyens, et rien n’entame leur bonne humeur et leur pacifisme.

Si Tahrir est aux mains des manifestants – et peut-être en son cœur l’un des endroits les plus sûrs du Caire – ses environs sont infestés de baltagueya qui poursuivent ceux qui se dirigent vers la place, arrêtent les journalistes et tabassent les activistes. La bataille centrale a fait des petits dans les rues avoisinantes où les rapports de masse ne sont pas les mêmes. La journée d’hier a été égrainée par les annonces d’arrestations ciblées. Dramatique, certes, mais le mouvement ne tient plus seulement sur les épaules de ceux qui l’ont initié.

Rapport étrange à la télévision d’Etat

Tout est maintenant une question de timing où se mêlent à la fois des facteurs politiques et sociologiques. Car de nombreux Égyptiens (la majorité ?), après l’avoir massivement soutenu et en approuvant les causes, ont un rapport ambigu au mouvement. Ils ne peuvent pas s’offrir le luxe d’une ville paralysée, leur survie dépend directement de l’argent qu’ils gagnent au quotidien. Les comités de quartier en ont assez de passer des nuits blanches pour défendre la population. Il y a un désir partagé de retour à la normalité, bien compréhensible. Ce sentiment s’accompagne toujours du rapport étrange qu’ont les citoyens à la télévision d’état. Ils savent qu’elle leur ment mais retiennent tout de même les informations qu’elle délivre. Ces derniers jours, ils disaient : “De toute façon, sur Tahrir, il n’y a que des Frères Musulmans, des étrangers, et des combattants du Hamas.” Le mouvement ne doit pas perdre cette population qui ne peut plus endurer longtemps la situation de siège. Le discours d’Omar Suleiman, le vice-président nommé la semaine dernière, leur était directement destiné. Habile moment de télévision : il ne s’agissait pas d’un discours écrit et rigide face caméra mais d’un long entretien de quarante cinq minutes où le vice-président semblait chercher le mot juste et parler le langage de la vérité. Il a reconnu la légitimité des protestations, promis des réformes en profondeur et gentiment demandé aux manifestants de rentrer chez eux. Un discours qui ne peut qu’isoler davantage dans l’opinion ceux qui, très nombreux, restent encore à Tahrir.

La nuit de jeudi à vendredi à été plutôt calme. Ce matin, la place est noire de monde. Les barrages de sécurité ont été redoublés : après la fouille par l’armée, onze fouilles successives par des manifestants permettent de s’assurer qu’aucun infiltré ne pénètre la place. En ce moment même, les muezzin appellent à la prière. Quand elle sera finie, dans deux heures, de nombreux hommes sortiront des mosquées pour rejoindre les manifestants. Des rumeurs disent que Moubarak démissionnera à ce moment-là. On craint une répression sanglante. L’atmosphère est électrique mais nous ne pouvons nous empêcher de croire que ce régime, malgré tout, vit ses derniers instants. Alignés sur la place, les hommes forment une belle mosaïque de prieurs, synchronisés dans leurs mouvements. Rien n’arrêtera la détermination de ce peuple qui, dans la guerre qui l’oppose à son état, est en train de l’emporter. La foule est à présent plus nombreuse que mardi, le jour du ‘One million-man march”…

De nombreux détails de cet article ont été obtenus grâce aux renseignements et à l’aide de Hana Al-Bayaty, et aux vidéos réalisées sur le champ de bataille par Mohammed A., reporter improvisé et audacieux qui fait un travail de documentation inouï.

Crédits photo: FlickR CC: F Hussein, Florence Mohy, Flickr CC: Ahmad Hammoud / Dark Corner / Diana Mai / Nebedaay /

]]>
http://owni.fr/2011/02/06/live-dans-les-rues-du-caire/feed/ 7
[LIVE] Embarqué au Caire http://owni.fr/2011/02/04/live-embarques-au-caire/ http://owni.fr/2011/02/04/live-embarques-au-caire/#comments Fri, 04 Feb 2011 16:10:30 +0000 Damien Spleeters http://owni.fr/?p=45324

Alors que Damien s’apprête à embarquer sur le vol qui le ramène à Bruxelles, nous clôturons sa partie du live. Nous restons attentifs aux informations de François Hien, ici.

Mardi 8 février, 10h00

A tous les amis, que vous soyez convaincus ou pas par ce qui s’est passé, il est maintenant temps de faire ce que nous pouvons pour notre pays. S’il vous plait, n’allez pas retirer plus de cash que ce que vous avez besoin. N’allez pas acheter de dollars si vous n’en avez pas besoin. Aidons notre économie à rester forte.

C’est ce message qui circule depuis hier sur les portables égyptiens, depuis la réouverture des banques, depuis que certains sont retournés travailler. “En dehors de Tahrir, tout est normal”, me dit Hesham. Il travaille pour une multinationale japonaise. Son fils, Karim, qui a crée une startup avec quelques amis, est là aussi. Je leur demande si le soulèvement populaire a vraiment déstabilisé toute l’économie égyptienne. “C’est relativement superficiel, affirme Hesham, quelques magasins pillés, quelques voitures brulées. Le pire c’est la bourse et le tourisme”.  L’ombre de la crise économique serait-elle déjà loin? “Il y a du bon, reprend Karim, en période de transition, on voit qu’il y a plus de ventes en bourse, les sociétés sont sous-évaluées.” Tout comme les habitants du Caire qui organisent la sécurité de leur quartier, on voit naitre d’autres initiatives destinées à maintenir le pays à flot.

Pour ce qui est de l’avenir, Hisham est dubitatif. “On va voir, dit-il, pour l’instant rien ne de décide vraiment. Il faut attendre. Il n’y avait pas d’opposition en Égypte, seulement sur papier. Elle était écrasée par le régime. Aujourd’hui les gens protestent mais il n’y a pas de responsables à qui parler, personne pour exprimer les demandes.” Pourtant, un peu après la libération de Wael Ghonim, un responsable de Google détenu depuis le début du soulèvement, le bruit court que des représentants seront bientôt élus place Tahrir.

Lundi 7 février, 18h00

On entend pas mal parler des Frères Musulmans dans cette révolution. Pas une rédaction qui n’invite tout un panel d’experts pour en débattre. Ici, ce sont les acteurs du soulèvement populaire égyptien que j’interroge. “Les Frères Musulmans sont très bien organisés, me dit Assyouti, mais je ne pense pas qu’ils puissent obtenir plus de 30 ou 40% de la représentation politique.” Les Frères Musulmans ne sont pas autorisés à former un parti politique, mais ils restent un groupe très influents. “Ils veulent avoir leur mot à dire, siéger au parlement.”

Pourtant, pour Assyouti, l’Égypte future se rapprochera plus d’une nouvelle Turquie que d’un autre Iran. Même avec la présence des Frères Musulmans, le pays pourrait maintenir un équilibre séculaire:

Il suffit d’écouter les slogans là en bas pour comprendre que les gens demandent un gouvernement séculaire. Et si l’Occident entretient sa propre peur du vide, c’est parce que Moubarak a réussi à l’effrayer avec le point d’interrogation de ce qui viendra après lui.

Je retourne sur la place Tahrir pour y trouver l’un de mes contacts, Islam. Il va me faire rencontrer un membre des Frères Musulmans, Alladin, et jouer les interprète. En quelques mots chuchotés, Islam lui explique qui je suis. Il accepte très simplement de répondre à mes questions. Alladin me dit que les Frères Musulmans veulent simplement vivre dans une atmosphère politique naturelle pour s’exprimer en tant que groupe, “avoir la chance de montrer leur programme, donner la possibilité aux égyptiens de vivre avec la véritable morale islamique, porter l’attention sur les valeurs islamiques dans le respect des autres, dans le pluralisme.” Islam réagit : “l’Occident n’a pas donné la chance aux musulmans modérés de s’exprimer politiquement. Les Frères Musulmans n’ont rien à voir avec l’Iran ou avec les Talibans.” Alladin reprend : “Les Frères Musulmans sont présents dans 83 pays qui n’ont jamais eu à s’en plaindre. Ça serait un problème seulement en Égypte, parce que le pays occupe une place stratégique.”

Je lui demande pourquoi l’Occident aurait peur des Frères Musulmans. “Parce que pour les Frères Musulmans l’Islam n’est pas seulement une religion, c’est aussi un mode de vie. Et aussi parce que ça contredit le programme de certains pays qui tirent profit des dictateurs et de la corruption. Les Frères Musulmans menace ce programme parce qu’ils sont insensibles à la corruption.” selon Islam, mon interprète, si les Frères Musulmans vivaient cachés jusqu’à présent, c’est parce que le régime procède à des arrestations en vertu de l’état d’urgence, ayant déclaré l’illegalité du groupe. Selon lui, les Frères Musulmans de rapprochent de l’Iran, du Hezbollah et du Hamas dans leur soutien au peuple palestinien, mais ils s’en différencient par les moyens : “Les Frères Musulmans sont modérés et ne veulent pas recourir à la violence.”

Lundi 7 février, 10h00

La police secrète continue sa sale besogne au Caire: harcèlement, interrogatoires, arrestations d’activistes et de journalistes. La situation reste tendue malgré quelques signes d’apaisement. Les embouteillages ont repris, comme le travail pour certains, le métro et les banques fonctionnent. Mais il suffit de se rendre sur Tahrir pour se rendre compte qu’il n’en est rien. En ce dimanche 6 février, nous sommes au 13e jour de protestation, et on dirait que c’est toute la ville qui se relaie pour tenir la place. Les voix sont cassées mais les slogans toujours plus forts. Je me fraie un chemin dans la foule juste après la messe copte célébrée avec les musulmans. Certains marchent en groupes compacts, sous de grandes bâches en plastique pour se protéger de la pluie. D’autres sont assis autour des chars pour les empêcher de bouger.

Tout est en mouvement, on s’agglutine autour de ceux qui lancent les premières lignes d’un chant de protestation, perchés sur des épaules ou des murets, avant de se disperser vers d’autres voix. Impossible de déterminer qui mène la danse. “Il n’y a pas de société secrète, de leader”, me dit Moatez, quand je le trouve au dernier étage d’un appartement qui donne directement sur la place. “C’est une frustration commune qui nous a réuni et maintenant, ça fait plus de dix jours que les gens sont ensemble, créent des liens, se parlent, s’organisent. On assiste à la naissance d’un forum, d’une agora”. Il me fait part de son inquiétude face à la polarisation de l’opinion publique égyptienne. Comme j’avais pu m’en rendre compte la nuit dernière en suivant un groupe de jeunes organisés pour la sécurité de leur quartier. Moatez est doctorant en sociologie, spécialisé dans la société égyptienne. Selon lui, cette polarisation est ce qui pourrait compromettre le plus la révolution en cours:

Avec son discours à la télévision, Moubarak a réussi à se retourner le soutien d’une grande part de la population. Il met la crise économique sur le compte des manifestants. S’il y avait un million de personnes ici, ça serait seulement 3% de la population active. Il ne mentionne pas le fait qu’il a fermé les banques et la bourse, ni le fait qu’il ait coupé l’accès à Internet, ce qui a arrêté les activités touristiques. Ou encore le fait qu’il ait instauré un couvre-feu qui empêchait les avions d’atterrir. Ce sont ces choses qui détruisent économiquement le pays.

La manipulation de l’opinion n’est pas la seule arme du régime, qui mène une véritable guerre d’usure contre les manifestants, bloquant ou ralentissant l’accès au ressources humaines ou alimentaires. “C’est dangereux de s’enfermer à Tahrir, me dit Moatez. Il faudrait bouger. Le problème, c’est que c’est l’endroit le plus sûr. Moubarak veut faire comme si rien ne se passait ici. Il veut qu’on nous ignore complètement, c’est ce qu’il faut éviter”. Moatez tacle enfin les rumeurs qui voudraient que Moubarak soit indispensable à tout remaniement constitutionnel, comme l’affirmait par exemple Tarek Massoud, de la Harvard Kennedy School, sur CNN il y a quelques jours: “Il n’y a rien de plus faux”, affirme Moatez. En réalité, un conseil de juge de la Cour Suprême pourrait annuler tous les amendements à la constitution faits depuis 1981, parce que sous l’état d’urgence il est illégal d’amender la constitution (en vigueur depuis l’assassinat de Sadate en 1981)”.

Dimanche 6 février, 15h00

L’ambiance sur la place Tahrir:

Dimanche 6 février, 01h00

Il est plus de minuit, dans le quartier de Dokki, au Caire [cliquez pour accéder à la carte GoogleMap], à quelques minutes à pied de la place Tahrir, épicentre des mouvements de protestation contre le régime Moubarak. Je suis de sortie cette nuit pour observer les comités qui s’organisent pour la protection du quartier. Un quartier plutôt aisé et calme en temps normal, devenu lieu de passage vers la place Tahrir depuis le début de la révolte.

Impossible pour moi de sortir l’appareil photo: c’est sous couvert d’anonymat que les habitants ont accepté de témoigner. Les noms utilisés sont donc pure invention.

J’ai pu parler plusieurs fois au téléphone avec mon contact, appelons-le Ossama, avant de pouvoir fixer un rendez-vous. Ossama, la trentaine, fait partie de ces habitants du Caire qui ont décidé de s’organiser pour assurer la sécurité de leur quartier et prévenir les pillages.

La BBC est venu nous rencontrer, mais tout ce qui les intéressait c’était le côté sensationnel. Ils ont fait leur gros titre avec une phrase sortie de son contexte en disant qu’on était des gens violents. Mais tout ce qu’on fait, c’est réagir à la situation et protéger notre quartier. On a peut être vingt-trois gars dans les environs, et huit d’entre eux ont une arme à feu. Nous avons peur.

Armée et civils font bon ménage à certains checkpoints (ici dans le quartier de Maadi)

Il m’explique que les nombreux prisonniers qui se sont échappés ces derniers jours pourraient faire profil bas pour un temps avant de frapper. Il m’emmène un peu à l’écart de la route principale, dans les petites rues. “Nous ne sommes pas si loin de Tahrir”, dit-il, “et beaucoup des manifestants qui s’y rendent passent par ce quartier. Certains pourraient essayer de profiter de la situation pour s’introduire dans nos maisons”.

Ossama m’explique comment la police essaye de les empêcher de manifester:

En disparaissant complètement des rues, elle nous a donné l’impression qu’on devait assurer nous-mêmes notre protection. Nous savons aussi que les policiers font partie des pillards. Ils tirent en l’air pour nous faire peur et nous garder ici. C’est ainsi qu’ils contrôlent, par la peur.

Son groupe pense à investir plus d’argent dans l’achat d’armes à feu, dont le prix augmente avec la demande: “on doit se protéger coûte que coûte”.

La situation a changé brutalement pour les habitants du quartier. Impossible de penser au long-terme, ils sont en état d’alerte toutes les nuits, gardant le contact par talkie-walkie, surveillant le quartier avec des armes automatiques, organisant les relèves toutes les six heures.

Ces mouvements spontanés ont reçu de curieux soutiens: tous les clients de l’opérateur MobiNil ont reçu un texto au début du soulèvement les enjoignant à aider l’armée à assurer leur sécurité. Selon Ossama, “ce n’est pas acceptable, l’armée ne peut pas vous donner cette responsabilité”. Pour lui, il s’agit clairement d’une stratégie du gouvernement visant à augmenter le chaos et la peur dans la ville: “et ça fonctionne, ils sont de plus en plus nombreux, maintenant, à soutenir Moubarak. Ils veulent juste se sentir en sécurité à nouveau”.

Pour Ossama, ceux de la place Tahrir n’ont plus rien à perdre, ils ne s’inquiètent pas pour leur sécurité:

Il n’y a pas de classe moyennen en Egypte: il y a ceux qui peuvent se nourrir, et ceux qui ne peuvent même pas. Les seconds restent à Tahrir, ils ont connu pire, ils ne vont pas lâcher l’affaire. Finalement, on veut tous la même chose, mais pas avec la même détermination.

Un groupe s’avance vers nous. On se salue, les hommes blaguent et me demandent mon passeport. Je leur demande si ils soutiennent ceux de Tahrir: ”Oui”, me répond Moustafa, “jusqu’au dernier discours du président. Pour nous, c’était satisfaisant”.

“C’est un problème de confiance”, résume Mohammed, “le président serait vraiment idiot de ne pas faire ce qu’il a promis. Et puis, on peut toujours retourner manifester”.

Le bruit d’un coup de feu à distance, les hommes tendent l’oreille, puis reprennent:

On a commencé à 250 000, puis, on était deux millions. Après le discours de Moubarak, il restait environ 70 000 personnes à Tahrir: ils n’étaient pas satisfaits. Mais c’est à cause des affrontements que les gens sont retournés sur la place. Parce que pour eux, ça montre qu’on ne pouvait pas faire confiance à Moubarak.

Selon le groupe, en perdant la connexion à Internet et au téléphone, les gens ne voyaient plus l’intérêt de rester chez eux. Il y aurait plus de cent-cinquante personnes pour surveiller le voisinage, avec de dix à quinze individus par checkpoint. Ce soir, il n’y a plus autant de contrôles, la situation semble se normaliser.

Le groupe s’accorde à dire que le point positif est que la situation a renforcé les liens sociaux entre les habitants du quartier. Et quand on aborde le problème des étrangers, ils me disent qu’ils ont l’impression que les médias internationaux encouragent la protestation:

C’est une mine d’or pour les médias cette histoire. Plus c’est instable, plus ça plait.

Je ne sais pas ce qui va se passer demain quand je vais retourner travailler”, me dit Ossama, “mais il faut que j’aille bosser, je ne peux pas rester à surveiller la rue pour toujours. Il faut continuer à vivre”.

Moustafa travaille pour Orange. Quand les réseaux étaient coupés, c’était “comme si on vivait dans une boîte”, dit-il.

Je leur demande à quoi sert le couvre-feu puisqu’il semble ne pas être respecté:

“C’est simple”, explique Moustafa, “sans couvre-feu, je ne peux pas demander ses papiers à celui qui passe dans la rue. Les militaires nous ont donné le feu vert: si quelqu’un est suspect, je peux le descendre”.

Nous marchons dans les rues du quartier, rencontrant quelques petits groupes armés. Moustafa analyse ce qui a changé:

On avait l’impression de ne pas exister dans ce pays, notre voix n’était pas entendue. Avec la révolte, on a pu enfin être écoutés. Et ça ne pourra pas nous être enlevé.

Ossama me raccompagne, on croise deux fourgons lourdement escortés: ils viennent ravitailler les banques qui ont réouvert ce dimanche matin. Pour lui, il y a comme un dilemme: croire les promesses de Moubarak, continuer de vivre comme avant, ou continuer à soutenir les manifestants:

Notre société est divisés: ceux qui pensent que Moubarak va tenir parole et se retirer à la fin de l’année, et ceux qui ne lui font pas confiance, qui ont été tellement brutalisés par la police et le régime qu’ils veulent le changement tout de suite.

Deux voitures de police passent lentement dans la rue, gyrophares allumés et sirènes hurlantes: “ils veulent montrer qu’ils sont de retour”, me dit Ossama,” ils veulent montrer qu’ils sont présents pour rassurer les habitants. Mais ça risque de prendre des mois avant qu’on leur accorde à nouveau notre confiance”.

Samedi 5 février, 10h00

Arrivé au niveau du checkpoint auquel j’ai été refoulé hier, la file est déjà longue. Après des négociations visant à faire comprendre que je suis journaliste, j’entre dans “la commune Tahrir” pour la première fois [cliquez pour accéder à la carte GoogleMaps].

Le changement est clairement palpable sur la place: on m’accueille chaleureusement comme si je venais de parvenir à un sanctuaire. Il est à peu près 11h30.

“Ca fait 5 jours que je suis ici”, me dit Abdallah, 23 ans, chimiste “je dors par terre, sur la route. C’est pas confortable, mais c’est le prix à payer pour notre liberté. Des gens sont ici depuis le début, plus de 10 jours. On est prêt à mourir pour notre liberté, on ne bougera pas d’ici avant le départ de Moubarak”.

La place Tahrir est une sorte d’organisme vivant, anarchique. Une commune qui trouve les moyens de sa survie dans la solidarité, la paix et la détermination. On arrive de part et d’autre pour ravitailler ceux qui restent ici en nourriture, eau et vêtements propres. Les militaires qui tiennent les points d’accès laissent passer les vivres. On a même organisé un service de nettoyage. Dans la poussière de place, les différences se font moins nettes:

“Je suis révolté par la propagande du régime”, me dit Islam, “il faut dire la vérité sur ce qu’il se passe ici. Les médias répandent la peur et la violence. Je parle parfaitement anglais, allemand et néérlandais. Si vos confrères veulent parler avec moi, dites leur que je suis là”.

Sur place se trouvent des jeunes, des vieux, des femmes, des enfants, des musulmans, des chrétiens, des riches, des pauvres, des gens qui proviennent de tous le pays, certains ayant eu accès à l’éducation et d’autres n’ayant pas eu cette opportunité. Des journalistes aussi, la pression exercée sur eux semblant être quelque peu retombée.

C’est vraiment l’Egypte, ici, à Tahrir.

Des groupes se forment spontanément autour de ceux qui haranguent la foule, parfois juchés sur les épaules de leurs compagnons. Les slogans sont repris en coeur, juste avant que ne résonne la musique et que certains ne se mettent à danser.

Les séquelles des affrontements passés sont pourtant toujours visibles. Des yeux au beurre noir, du sang séché, des pansements… J’écoute un discours, et Ismail vient me trouver, pour dénoncer la corruption et continuer à réclamer la démission de Moubarak, le tout en anglais:

Cliquer ici pour voir la vidéo.

L’heure de la prière approche, les musulmans se mettent en rang. Des manifestants viennent me parler:

“Il n’y a pas de différences entre musulmans et chrétiens ici: ils sont unis. Nous voulons que vous disiez ça au monde. Ils sont ensemble, comme des frères parce qu’ils font cause commune contre Moubarak. Il partira avant nous. Nous sommes certains de réussir. Tout ce que nous voulons, c’est la justice et la liberté”

Un vieil homme vient me trouver: sur un morceau de carton, il a écrit “Merci Facebook”, et au verso “Merci Al-Jazeera”:

Je suis ici pour soutenir les jeunes, ils sont éduqués, ce sont des ingénieurs, des avocats, des professeurs. Ils ne sont pas idiots, personne ne télécommande cette révolution, les jeunes ici savent ce qu’ils font.

Puis soudain, le silence emplit Tahrir à l’heure de la prière:

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Je me sens bien plus en sécurité ici qu’ailleurs au Caire, je marche un peu avec Abdallah. Au nord, près du secteur des musées, les gens commencent à se regrouper. D’un coup la tension accumulée refait surface: des cris et des sifflets se font entendre. Certains courent pour rejoindre la foule qui s’agglutine. Au loin, on aperçoit un groupe: “Les pro-Moubarak”, me dit Abdallah. Mais tout reste calme.

Un officier vient négocier avec la foule pour faire enlever les barricades élevées durant les affrontements. Une chaîne humaine se forme devant les chars de l’armée, ainsi qu’autour d’un des “hôpitaux” installés là. Il s’agit en fait d’un espace dédié au soin des blessés.

Les manifestants chantent: “Il part, nous restons”. Le message est reçu, l’officier repart.

“Plus rien ne sera comme avant”, me dit Abdallah, “et cette révolution ne sera pas récupérée: ces couleurs sont égyptiennes”. Un vieil homme me montre une page du journal: Vodafone s’excuse pour la coupure et la manipulation du réseau et promet d’indemniser les usagers.

Quelqu’un a tagué “Facebook” sur un mur, Abdallah me dit que les réseaux sociaux ont certainement aidé au rassemblement, inspiré par l’exemple tunisien:

Aujourd’hui, on n’a plus peur de parler, on veut la liberté.

Je quitte Tahrir au milieu de l’après-midi. La pluie commence à tomber mais des milliers de personnes attendent encore de pouvoir entrer sur la place, visiblement pour y passer la nuit.

Demain, dimanche 6 février, sera le treizième jour de protestation,  baptisé “journée des martyrs”. En attendant, les nouvelles sont confuses: Al Arabya annonce que Moubarak démissionne de la direction du NDP avant de se rétracter. Les demandes des manifestants, elles, n’ont pas changé:

1. La démission du président
2. La fin de l’état d’urgence
3. La dissolution de l’assemblée du peuple
4. La formation d’un gouvernement national de transition
5. L’élection d’un parlement qui amenderait la constitution pour autoriser une élection présidentielle
6. La poursuite judiciaire immédiate des responsables de la mort des martyrs de la révolution
7. La poursuite judiciaire immédiate de ceux qui ont corrompu le pays et volé ses richesses

Samedi 5 février, 1h30

J’entends des coups de feu dehors, je décide de ne pas sortir: des militaires tireraient en l’air pour dissuader les pro-moubarak d’approcher de la place Tahrir.

Vendredi 4 février, 16h

Jusqu’à présent j’étais resté dans un appartement avec 4 personnes dont deux Egyptiens. Aujourd’hui, jour de prière, la tension est vraiment palpable. Une amie d’une des personnes qui loge ici lui a téléphoné pour annoncer qu’elle venait de voir deux jeunes hommes se faire tabasser dans la rue pendant la nuit. Je vois les images sur Al-Jazeera et décide d’avancer vers le checkpoint le plus proche de la place Tahrir. Je tente de négocier pendant une vingtaine de minutes mais les militaires refoulent les ressortissants étrangers.

Vendredi 4 février, 22h

Cette fois, je sors pendant le couvre-feu. Il commence a faire sombre. J’arrive au premier checkpoint: pas de contrôle. Je passe le premier pont. Deuxième checkpoint: on me contrôle mais on me laisse passer. Les militaires sont présents en nombre, et beaucoup de gens font le chemin en sens inverse, quittant Tahrir, notamment des femmes et des enfants. De là où je suis, j’aperçois la place. Une longue file se forme, c’est le dernier checkpoint, installé entre un tank et une voiture calcinée. A terre, des pierres, celles lancées pendant les affrontements des derniers jours. La file s’allonge, on me demande si je suis journaliste. Je réponds par la négative, prétendant que je dois traverser pour rejoindre un autre quartier, de l’autre côté de la place. Je n’ai pas envie d’être arrêté, comme les autres. Finalement, je suis refoulé. Il faut montrer une accréditation pour passer.

Vendredi 4 février, 00h

La situation est calme. Il y a une heure, j’ai reçu un appel et ça devrait se concrétiser: vers une heure du matin, je rencontre quelqu’un et ensemble, nous allons faire le tour des groupes de quartier qui assurent la sécurité des rues.

Aux dernières nouvelles, Damien a réussi à pénétrer sur Tahrir Square à l’heure de la priète matinale, comme en attestent ces deux photos qu’il vient de poster sur Twitter.

Jeudi 3 février, 20h

Après une heure de recherches dans les terminaux de l’aéroport du Caire, situé à une vingtaine de kilomètres du centre-ville, j’ai réussi à m’engouffrer dans l’un des rares taxis qui acceptent d’enfreindre le couvre-feu pour s’aventurer dans la capitale égyptienne. Le chauffeur roule à tombeau ouvert sur l’autoroute déserte. Des checkpoints sont disposés à intervalles réguliers. Aux premiers, de jeunes hommes – parfois même des enfants – contrôlent mon passeport, notent mon nom, demandent la licence du chauffeur et fouillent le coffre. Certains se déplacent avec des barres de fer, des bâtons, et même des machettes.

Parfois, ils s’excusent de tout ce protocole, mais à d’autres moments, le taxi doit négocier pour que je ne sois pas embarqué. La disposition des points de contrôle est hétéroclite. Je tombe sur des individus portant un brassard jaune: c’est “l’armée du peuple”, elle ne sert pas le président Moubarak. Plus loin, j’ai affaire à des policiers en civil, reconnaissables à leur façon de parler.

Ne faire confiance à personne

Nous quittons l’autoroute pour rentrer dans le quartier de Dokki, à quinze minutes à pied de la place Tahrir. A mesure que nous avançons, les contrôles se font plus réguliers, et mon chauffeur doit systématiquement présenter sa licence. Tandis qu’on me pose des questions, des jeunes jouent au foot et nous saluent. Je sens de plus en plus la suspicion à l’égard des journalistes. Heureusement pour moi, je me présente comme un étudiant rendant visite à sa cousine.

Le dernier check-point prend plus de temps, et la tension monte d’un cran. Une brigade de police est appelée, et un représentant de l’ordre me rejoint sur la banquette arrière. Il nous accompagne jusqu’à la prochaine étape, un peu plus loin. C’est un contrôle militaire, à côté d’un char. On me réclame de la nourriture avant de me laisser partir. On me prodigue les mêmes conseils qu’à ma descente de l’avion: ne pas s’aventurer seul dehors, ne faire confiance à personne. Je continue à pied, marche un peu, demande mon chemin. On m’interdit l’accès à la rue où je loge et mon contact doit venir négocier pour moi. J’arrive enfin dans l’appartement, en sécurité. A l’intérieur, deux filles et deux garçons. Le regard est fatigué, la voix aussi.

On parle un peu, et ils me montrent des photos prises deux jours avant le basculement sanglant. J’arrive à dormir un peu, avant d’être réveillé par l’appel de la prière du matin. Je décide alors de téléphoner à Hicham, un autre contact. Selon lui, la journée qui s’annonce sera violente. C’est le “vendredi du départ”, et il craint que les étrangers ne soient pris pour cible. Il me rappellera plus tard, les SMS ne passant pas sur le réseau national.

Pourtant, les jeunes qui vivent ici me l’ont confirmé: ils ont bien reçu un texto de Vodafone appelant au rassemblement en faveur de Moubarak. Ce n’est visiblement pas la première fois. Quelques jours auparavant, ils aurait reçu un autre message, leur demandant d’organiser des barrages dans leur quartier.

Crédits photo: Florence Mohy, Flickr CC: Ahmad Hammoud, F Hussein

]]>
http://owni.fr/2011/02/04/live-embarques-au-caire/feed/ 16
Journalistes, vous avez une opinion, ne la cachez pas! http://owni.fr/2010/07/12/journalistes-vous-avez-une-opinion-ne-la-cachez-pas/ http://owni.fr/2010/07/12/journalistes-vous-avez-une-opinion-ne-la-cachez-pas/#comments Mon, 12 Jul 2010 07:52:18 +0000 Michael Arrington http://owni.fr/?p=21706 Je suis choqué de voir que les journalistes continuent à être punis, voire renvoyés, pour avoir exprimé leur opinion sur les sujets qu’ils couvrent. CNN a très récemment mis fin au contrat d’Octavia Nasr sur la base d’un tweet faisant l’éloge d’un ancien leader du Hezbollah. Le mois dernier, Helen Thomas a été obligée de démissionner à cause de ses déclarations sur Israël.

L’année dernière, le Washington Post a contraint ses journalistes à ne pas exprimer leurs opinions sur les médias sociaux : “cela pourrait être perçu comme reflétant des partis pris politiques, raciaux, sexistes, religieux ou autres qui pourraient ternir notre crédibilité journalistique.” Et la liste continue.

Un moyen détourné de me mentir

Je pense que les journalistes devraient avoir le droit de donner leur point de vue sur les sujets qu’ils traitent. Plus important encore, je pense que les lecteurs ont le droit de savoir quelles sont ces opinions. Franchement, je préfèrerais savoir à l’avance à quel point les gens de CNN ou de Fox News sont fous. Les empêcher de me fournir cette information est simplement un moyen détourné de me mentir.

Il y a quelques années, j’ai assisté à un diner à New York, en compagnie d’un journaliste très connu qui couvrait les informations nationales importantes, et particulièrement la politique. Il était dans le secteur depuis un long moment (le début des années 70) et nous avons eu une conversation édifiante autour de la collecte et de la conception de l’information, et sur la manière dont la technologie transforme l’industrie.

À un moment donné, je lui ai demandé avec désinvolture ce qu’il pensait du président Bush comme leader. Il est devenu très sérieux et m’a répondu qu’il ne commenterait pas. Curieux, je lui ai alors demandé quel parti politique emportait sa préférence. Là encore, il n’a pas répondu. Il m’a dit qu’il était important pour lui de garder cela secret pour que personne ne puisse lui reprocher un quelconque parti pris dans sa couverture des évènements.

Voilà qui  a pimenté la conversation.
Il a admis qu’il soutenait certains hommes politiques et pas d’autres et qu’il avait tendance à voter pour un seul et même parti. Il ne voulait simplement pas donner de noms. Et c’est le moment où je suis devenu sérieusement perplexe. Et je le reste. En tant que journaliste expérimenté, il voyait son métier comme le fait de présenter l’information de façon équilibrée et impartiale. Exprimer publiquement ses tendances politiques pourrait mener les gens à voir son travail différemment.

Le noyau dur de la formation

Je voulais lui démontrer que ses lecteurs avaient besoin de connaitre ses a priori politiques pour replacer le contenu qu’il leur propose dans son contexte. Il me semble presque impossible de ne pas intégrer ce type de parti pris dans ses articles. Il n’était pas d’accord et m’a fait remarquer que le noyau dur de sa formation était justement de parvenir à l’objectivité. Bien évidemment, son penchant était assez clair : il détestait Bush avec passion. Mais je ne suis pas parvenu à lui faire dire.

Il a tort. Un adjectif placé par ici, un paragraphe ajouté là, la bonne citation d’une source au bon endroit et voilà, vous êtes en présence d’un article exprimant une opinion mais avance sous le masque de l’objectivité pure.

J’ai été témoin de ce genre d’articles plus souvent qu’à mon tour, ce qui fait que j’ai tendance à ne pas accorder d’interview aux journalistes que je ne connais pas ou en qui je n’ai pas confiance. Il suffit d’un lapsus et tout l’article tourne autour, même si c’est hors-contexte. Le message d’ensemble est alors noyé sous la petite phrase qui donne au journaliste l’angle dont il a besoin.

Dans un article qui date de l’année dernière, je défendais l’idée que le journalisme collaboratif [NDT : "Process Journalism" en anglais] n’était pas une mauvaise chose, et qui bien au contraire il s’agissait là de la meilleure manière de développer ses articles :

Je frissonne toujours quand j’entends des journalistes dire “ne dites rien, trouvez une source pour le dire et citez-la”. Cela conduit à de terribles situations. Prétendre que l’on écrit sur un sujet alors qu’en fait on s’intéresse à tout autre chose pour ensuite tordre ce que vous disent vos sources pour cadrer avec ce que votre rédacteur en chef vous a demandé d’écrire n’est pas du journalisme éthique. Ces pratiques sont peut-être en accord avec ce que vous avez appris en école de journalisme, mais il s’agit en réalité de tribunes [NDT: "op-ed" en anglais ne connaît pas d'équivalent en français] sans faits réels pour appuyer l’argument.

Vous pensez qu’il est insensé de dire que les journalistes traquent les citations dont ils ont besoin pour raconter l’histoire qu’ils ont envie de raconter ? Et bien Tim O’Reilly avoue que cela a eu lieu très récemment :

Frustré par le reportage du New York Times sur Microsoft, j’ai été plutôt surpris de trouver des citations qui émanent de moi dans l’article d’Ashlee Vance. L’auteur a écrit une tribune comme si elle ne faisait que rapporter mes commentaires.

Nous sommes beaucoup critiqués chez Techcrunch pour produire des articles clairement biaisés. Et cela malgré le fait que nous exprimons nos opinions très clairement, parfois même dans le foutu titre.

Une combine à laquelle les journalistes sont habitués pour gagner en crédibilité

Ce n’est pas du journalisme, selon certains. Bien, je suis d’accord avec ça. Mais on ne peut pas être accusés d’être malhonnêtes avec nos lecteurs. Nous décrivons les choses comme nous les voyons. Nous ne manipulons pas les faits et n’inventons pas d’histoires. Nous ne partons pas à la recherche de citations pour les retravailler et les placer en soutien à l’article que nous voulons écrire, nous ne faisons que l’écrire. D’autres personnes peuvent écrire des articles différents présentant d’autres opinions. Et le lecteur peut tous les lire et en faire son propre billet de blog avec une tout autre opinion. Chacun dispose d’une imprimerie aujourd’hui, et l’encre est gratuite. Cela a changé le monde, et le journalisme a besoin de changer avec lui.

Le fait est qu’il est impossible pour un être humain d’écrire quelque chose qui ne soit pas subjectif. Nous ne sommes pas des robots, nous sommes humains. Au moment même où vous avez choisi le sujet de votre article, vous avez fait le choix subjectif de passer du temps à traiter ce sujet au lieu d’un autre. Tout découle de cela. Lisez attentivement l’article sur Microsoft vers lequel Tim O’Reilly renvoie et vous verrez surgir le parti pris de l’auteur entre les lignes.

Cela n’était pas si clair pour moi jusqu’à ce que je me mette réellement à produire de l’information. Je peux à présent lire n’importe quel article et vous dire en un clin d’œil quel est le parti pris de l’auteur, subtil ou pas. Toutes ces conneries sur l’objectivité dans le journalisme peuvent être analysées comme une combine à laquelle les journalistes sont habitués pour gagner en crédibilité auprès du public, qui y croit.  Il va falloir que j’écrive un autre article, ou un peut être bien un libre, pour étayer cet argument.

Voilà de quoi commencer diffuser ces idées au plus grand nombre, que chacun puisse en juger.

Billet initialement publié sur Techcrunch

Illustration CC FlickR par TarikB

]]>
http://owni.fr/2010/07/12/journalistes-vous-avez-une-opinion-ne-la-cachez-pas/feed/ 9
Reportage sur un site odieux http://owni.fr/2010/04/01/reportage-sur-un-site-odieux/ http://owni.fr/2010/04/01/reportage-sur-un-site-odieux/#comments Wed, 31 Mar 2010 22:00:09 +0000 Alexandre Léchenet http://owni.fr/?p=8130 C’est la mode du moment sur Internet. Tout le monde, jeune ou vieux, a déjà visité au moins une fois ce site sulfureux. Le principe ? Vous êtes connectés au hasard à n’importe quelle personne également connecté à Internet par le moyen d’une webcam. Le nom du site ? Chatroulette.

Nous sommes allés rencontrer Steven*, un jeune de vingt-trois ans, utilisateur régulier de Chatroulette. Il nous explique comment il a découvert le site. “J’étais sur Facebook et quelqu’un a posté un lien vers Chatroulette, j’ai cliqué sur ce lien et je suis arrivé sur le site.” Ce site se présente d’une manière simple, deux fenêtres où s’affichent les vidéos et une fenêtre permettant de discuter. “J’ai donc allumé ma webcam et ai appuyé sur le bouton Start, ma tête est apparue sur une fenêtre et la tête de quelqu’un d’autre dans l’autre fenêtre. Nous avons alors discuté pendant cinq minutes. C’était une fille qui habitait à New-York. À un moment, elle a disparu. C’est alors que j’ai compris qu’on pouvait passer d’une personne à une autre grâce au bouton Next.” Le site, dans son fonctionnement rappelle un autre site sorti il y a quelques mois, Omegle. Il connectait dans une fenêtre de chat deux inconnus tous les deux connectés au site. L’idée en plus sur Chatroulette, c’est la vidéo.

La connexion aléatoire permet donc de tomber sur n’importe quoi, et bien évidemment, s’y retrouvent tous les pervers du Net. À la moindre pression du bouton Next, il est fort probable que l’image que vous voyiez soit un homme demandant à voir vos seins, voire même, et c’est hélas trop fréquent, un homme en train de se masturber face à la caméra. Et quand ce ne sont pas des images explicites, c’est pire, avec des personnes déguisées en chat, laissant imaginer les pires fantasmes ou des vidéos automatiques. Et le plus grave, c’est que ce site n’est pas interdit au moins de 18 ans. Il y a seulement, sur la page d’accueil, la mention “You have to be at least 16 years old to use our service” ainsi qu’une précision sur le fait que les images pornographiques, obscènes, offensantes ne sont pas tolérées et que celles-ci seront bloquées. Mais rien n’indique que c’est fait et surtout, rien ne vérifie si l’utilisateur a bien plus de 16 ans.

tumblr_kxeprrgzel1qaa7t1o1_400

Nous sommes entrés en contact, grâce à ce site, avec un jeune homme, Antonio*, qui habite au Brésil. Il a 15 ans et c’était sa troisième utilisation de Chatroulette. Il nous a expliqué visiter le site pour s’amuser après l’école et pour se faire des amis. Interrogé sur le nombre forcément impressionnant de sexe d’hommes qu’il a pu voir, le jeune homme rigole et nous dit qu’il suffit de presser “Next” pour ne pas les voir. Pourtant, lors de notre test, nous avons été confronté à plus de 25 pénis en cinq heures d’utilisations. Nous demandons alors au brésilien pourquoi ses parents le laisse fréquenter ce site. “Mes parents ne savent pas ce que je fais sur Internet.

Nous sommes maintenant à l’Assemblée Nationale. Dans son bureau du bâtiment Chaban-Delmas nous avons rencontré un député UMP et lui avons montré une vidéo de notre expérience sur ce site. Sa réaction était à la hauteur des insanités visibles. “Comment peut-on laisser nos enfants face à de tels sites, à la merci du premier pédophile venu ? Heureusement, avec des lois telles que la LOPPSI, en discussion actuellement à l’Assemblée, nous pourrons filtrer des sites aussi dangereux que ça pour la sécurité de nos enfants.

tumblr_kwxcglps6t1qzhb4oo1_400Revenons au jeune brésilien. Quand on lui fait comprendre qu’il pourrait rencontrer des pédophiles sur le site, il élude notre remarque. “N’importe qui peut me parler, mais j’ai le choix de tout de suite le nexter. De toutes façon, si la personne à qui je parle est trop vieille, je la nexte tout de suite. Et une fois que je l’ai nextée, aucun moyen pour la personne de me retrouver. C’est plus dangereux quand je me promène dans la rue, à la merci d’un exhibitionniste.

Pour en savoir plus, nous avons tout d’abord tenté de discuter avec une femme montrant ses seins. Après de nombreuses tentatives de chat, nous nous sommes finalement rendu compte qu’il ne s’agissait que d’une vidéo tournant en boucle sur le site.

Nous avons donc essayé de poser des questions à un homme se masturbant, pour connaître ses motivations. Après de nombreux refus ou des demandes à notre reporter de se déshabiller, un homme, Jérémy*, a accepté de nous répondre tout en continuant à toucher son sexe. Il nous a expliqué que Chatroulette était pour lui un moyen de s’amuser avant de se coucher. En montrant son sexe, il dit être clair sur ses intentions avec les autres visiteurs et apprécie lorsque quelqu’un de l’autre côté de la webcam accepte de jouer avec lui. Lorsque nous lui demandons ce qu’il entend par jouer, voilà sa réponse : “Le fait de se caresser devant une autre personne faisant la même chose, de pouvoir interagir avec elle et de répondre à ses demandes est très excitant. Bien plus qu’un film pornographique.” Le principe est connu sous le terme de cam2cam et les demandes y sont très crues. Il y a quelques mois, nous avions filmé la pratique sur un chat où un internaute commençait par “Coucou, tu veux voir ma bite“. Il ajoute que sur Chatroulette, le fait de le faire avec quelqu’un d’inconnu permet d’ajouter du piquant et surtout, de ne pas risquer de rencontrer la personne qui a montré son sexe ou ses seins le lendemain dans la rue.

Valérie*, de l’Association Action Innocence nous raconte l’expérience des chats avec les inconnus. “Les enfants doivent toujours être attentifs et ne jamais donner d’informations personnelles et toujours penser que la webcam peut-être enregistrée. S’il tombe sur des images qui le choque, dites-lui que c’est tout à fait normal d’être choqué. C’est le rôle du parent d’expliquer à l’enfant qu’il n’est pas coupable et que c’est important d’en parler.”

Un sociologue a développé une thèse sur la Génération Zapping. “Alors que nous prenions le temps de rencontrer des gens, de nous séduire et de discuter, les jeunes aujourd’hui sont dans la consommation, le zapping. L’émission Next sur MTV donne ainsi une idée de ce qui se passe au niveau amoureux chez les jeunes. Un jugement rapide sur l’apparence et pas du tout sur les critères normaux. À n’en pas douter, le fait qu’un jeune homme au physique ingrat se fasse trop souvent nexter sur Chatroulette aura des conséquences désastreuses sur son avenir. Et il est urgent d’éviter de telles dérives, sans quoi nous aurons des vagues de suicides Chatroulette.”

Martin*, père de famille, nous donne son avis sur Chatroulette : “Sur le site, il existe bien un moyen de reporter du contenu illicite, mais cela ne semble pas marcher tant le nombre de vidéos offensantes est important. Ce site est dangereux, très dangereux. Je suggère à tous les parents d’en interdire l’accès à leurs enfants. Hélas, le fait que le site soit russe me laisse penser que nous ne pourrons pas le supprimer facilement.

Sur Internet, personne ne sait que vous êtes un chien

Sur Internet, personne ne sait que vous êtes un chien

C’est la raison pour laquelle nous nous rendons en Russie, à Moscou. Nous venons de faire la connaissance d’Andrey. Andrey, si on le rencontre c’est parce que c’est à lui que l’on doit l’odieux site. Tout d’abord, lorsque nous rencontrons Andrey, ce qui nous choque, c’est son âge. Il a 17 ans et est donc encore mineur. “Si j’ai créé le site, c’est avant tout pour m’amuser. Je trouvais ça tellement drôle de parler avec mes amis sur Skype que je me suis dit que j’allais faire la même chose avec le monde entier. Malgré l’absence de publicité pour le site, les gens ont commencé à venir sans que je ne sache comment. Et de 10 à 50 connexions simultanées, cela est vite grimpé jusqu’à plus de 20 000 aujourd’hui. Je trouve cela génial que mon site soit un simple concept qui ait une utilisation différente pour chacun. Certains pensent que c’est un moyen de s’amuser, d’autre un moyen de se connecter au monde et d’autres enfin que c’est un site de rencontres. Que des gens l’utilisent de manière pas très sympathique ne me plaît pas trop, mais d’autres l’utilisent d’une façon tellement fantastique que ça m’éclate d’avoir fait Chatroulette et que c’est un plaisir que de travailler dessus.

Ce site prouve donc à quel point Internet est un endroit dangereux et une zone de non-droit. Le site est hélas encore accessible aujourd’hui, et vous n’imaginez pas combien de sexe en érection sont déjà apparus sous les yeux de vos enfants alors que vous regardiez ce reportage.

*les prénoms ont été changés

disclaimer: ce reportage n’a pas été encore diffusé et a été inspiré par ces articles (l’interview de Andrey, Bits, Glazman, Slate.fr, Abstrait≠Concret, Le Post, Action Innocence) et par un reportage existant ainsi que par de réelles conversations et expériences sur Chatroulette. Les images viennent de captures d’écrans de Chatroulette faites par un site sur Tumblr.

> Photo d’illustration en page d’accueil par SykoSam sur Flickr

]]>
http://owni.fr/2010/04/01/reportage-sur-un-site-odieux/feed/ 18
Le webdocumentaire selon Samuel Bollendorff http://owni.fr/2010/02/23/le-webdocumentaire-selon-samuel-bollendorff/ http://owni.fr/2010/02/23/le-webdocumentaire-selon-samuel-bollendorff/#comments Tue, 23 Feb 2010 11:38:51 +0000 Admin http://owni.fr/?p=8835 Le webdocumentaire est un genre récent en plein essor, comme en témoigne les dernières initiatives de France 5 et d’Arte.

Auteur des webdocs Voyage au bout du charbon et L’obésité est-elle une fatalité ?, Samuel Bollendorf explique dans cet extrait d’une interview réalisée par Canon France sa vision de cet avatar du reportage.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Vidéo repérée sur Linterview.fr, site consacré au webdocumentaire chaudement recommandé.

Dans les autres parties de l’interview, Samuel Bollendorf s’exprime sur son parcours, son matériel, et sa vision du photojournalisme.

]]>
http://owni.fr/2010/02/23/le-webdocumentaire-selon-samuel-bollendorff/feed/ 1
Apocalypse News http://owni.fr/2010/02/12/apocalypse-news/ http://owni.fr/2010/02/12/apocalypse-news/#comments Fri, 12 Feb 2010 18:00:38 +0000 Seb Musset http://owni.fr/?p=8064

Mardi dernier c’était Thema sur Arte. « Main basse sur l’info » que ça s’appelait.

Au programme : deux docs bidons et un débat à la gomme sur internet où, comme d’habitude, pas un seul spécialiste du sujet ne fut convié.

Je ne traiterai pas ici du premier reportage (déja culte) sur les complotistes dont le titre « Les effroyables imposteurs » explicitait les intentions du réalisateur. Je n’en ai vu que la 2eme moitié : Cet exercice de style à la finesse du bulldozer consistant à reproduire à l’identique mais en politiquement peinard, les travers d’approximation et d’enfermement dénoncés, réussirait l’exploit de convertir aux théories du complot Jacques Attali et Saint-Thomas.[1]

Non, j’attendais le programme sérieux de la soirée avec des journalistes expérimentés et intransigeants, formés à l’école de la rigueur, imperméables aux pressions et aux législatures successives.

« 8 journalistes en colère » présente en 24 minutes une sélection de notables du journalisme se livrant à l’analyse des dérives de leur métier pour tenter d’expliquer la perte d’audience et de crédibilité dont ils sont les victimes.

LA FORME :

Ambiance musicale dynamique et un poil stressante (c’est l’avenir de la presse qui est en jeu !), photographie ténébreuse et filtrée, plans fixes HD sur les représentants de la presse : Le gentil spectateur est mis en condition. Ici mon gars, c’est pas du .flv 420X340 à 14 images / seconde filmé au Nokia 3G par on ne sait pas qui.

- La vache : c’est la nouvelle saison des “Experts ” ?

– Nan, c’est un ami de la femme du président qui va dénoncer les abus de la désinformation.

FAITES ENTRER LES VICTIMES :
Le commentaire emphatique présente « la star de l’information [...] aux 5 Millions de spectateurs ». David Pujadas ouvre le bal des maudits et nous livre face caméra son édito d’intro sur « la crise des médias » poignant comme une campagne d’Amnesty international.

DAVID P., démonstrateur en information battu. (Paris)
« – [...] Je crois que le problème n’est pas à côté de nous mais en nous. [...] le journaliste n’est soumis à personne sauf à lui-même [...] il souffre d’abord de conformisme et de mimétisme [...]. On a le sentiment d’entendre un bruit de fond médiatique avec non seulement les mêmes sujets au même moment mais avec les mêmes mots et surtout, surtout, le même regard, la même sensibilité. [...] C’est ce que l’on pourrait nommer le journalisme des bons sentiments [...] émouvoir, toucher le cœur mettre en scène la complainte ça fait de l’audience mais il y a plus que ça. Le journalisme des bons sentiments c’est aussi une bien-pensance, c’est l’idée que par définition le faible a toujours raison contre le fort [...] En fait c’est une dérive mal digérée de la défense de la veuve et et de l’orphelin : cette posture qui valorise le journaliste et qui a l’apparence du courage et de la révolte.

Plan serré pour mieux sentir l’émotion du mec qui n’a pas encore fait 327 heures de direct sur les cadavres encore chauds d’Haïti.

DAVID PUJADAS
“- Alors que faire ? Sans doute revenir aux fondamentaux du journalisme, s’écouter soi même et laisser parler sa propre curiosité, ne pas se glisser dans un moule.

Soyez gentils les gens, aidez cet homme à être moins intolérant avec lui-même. Regardez son JT.

VOIX OFF MODE CHAUSSE-PIED
« – Ne pas se glisser dans un moule? Facile à dire. Mais comment faire, quand on doit comme David Pujadas fabriquer un journal tous les jours dans l’urgence face à la concurrence acharnée des autres médias ?

Le saviez-vous ?
La prolifération de l’information sur le réseau est mauvaise pour le citoyen.

La prolifération de télévisions pour préparer son information est bonne pour le journaliste.

Et l’animateur de déplorer un “vertige” tout en culpabilisant son absence de “hauteur” dans l’histoire des défenestrations de France Telecom. Il en a trop fait, ça se trouve le taux de suicide était tout à fait normal. Il aurait du vérifier.

“- Peut-être que l’on s’est laissés rouler par une énorme vague, celle de ce bruit de fond médiatique ?

Bah, dis donc David t’en as des malheurs. Ils sont méchants ces salariés sur-stressés et traités comme du bétail qui se suicident pas assez, rien que pour pourrir ta crédibilité.

VOIX OFF MODE COURBETTE
- Autre journalisme, autre trajectoire celle de Philippe Val. Ex directeur de Charlie Hebdo, patron de France Inter. En publiant les caricatures de Mahomet dans le journal satirique, il a gagné le droit de se méfier de tous les conformismes.

PHILIPPE VAL
” - Le pire ennemi du journalisme c’est sa conviction d’être au service du bien et de la pureté. Le journalisme n’est pas une religion
[c'est tout ? je pensais que tu serais plus solennel]
…La tentation est grande de faire primer la thèse sur le fait. “
[spéciale dédicace au réalisateur du doc précédent]
“… Le discours démagogique des uns marginalise le travail sérieux des autres. Ce n’est pas parce qu’il exprime son opinion qu’un journaliste est libre et indépendant…
[On est pas un ancien de Charlie-Hebdo pour rien : gros LOL garanti !]


Pour ce patron de radio, le journalisme n’est pas :
a / une religion.
b / une secte.
c / une représentation exacerbée de la lutte des classes avec sa baronnie et son sous-prolétariat.

Respiration visuelle :
On retrouve un Val proche et impliqué en salle de rédac’. Si, si ça se voit : Il fait oui-oui et non-non de la tête et il y a un téléphone pas loin.

VOIX OFF MODE PREMACHAGE DE L’IDÉE QUI VIENT
“- Illustration avec cette attitude très répandue qui consiste à faire passer dans bien des rédactions le point de vue avant les faits.

Il a du sentir qu’on parlait de lui : Voilà Jean-Pierre Elkabbach.

- Yo.


VOIX OFF
MODE TAPIS ROUGE

« ….ce grand professionnel est aussi depuis plus de quarante ans l’un des journalistes les plus controversés de l’hexagone. [...] Il n’est pas du genre à se taire »

Elkabbach termine, comme les autres, son décompte précédant le laïus (Ça et le maquillage filmé, autre truc du montage, ça impressionne les gueux) :

JEAN-PIERRE ELKABBACH
« - Je me garderai bien de jouer les imprécateurs, les procureurs ou les donneurs de leçon. [...] Quand je m’interroge sur les raisons de la désaffection des lecteurs, de l’érosion actuelle de la vente et des audiences, de la crédibilité qui fluctue de la presse et bien j’ai envie de dire : Assez ! Assez de considérer les affaires du monde comme une bataille entre le bien et le mal. Assez de nous copier, de nous répéter les uns et les autres, assez d’agir en meute.”

Fier et digne, l’ancien patron de France Télévision à l’origine du concept d’animateur-producteur sur fonds publics, qui nous avait annoncé la mort de Pascal Sevran six mois avant son décès, monte en intensité, des trémolos dans la voix :

JEAN-PIERRE ELKABBACH
- Assez de réclamer plus indépendance et d’aller courir après les subventions de l’état. Je crois que c’est la rigueur, la curiosité la qualité qui assurent l’indépendance de la presse. Assez. Assez de nous complaire dans la peopolisation, je n’en peux plus, dans l’émotion, dans l’irrationnel et le voyeurisme. Et puis assez d’encenser un jour, de vilipender le lendemain et de porter aux nus, les mêmes, les mêmes, le surlendemain.
[faites comme lui, flattez toujours les mêmes.]
Assez de faire croire que le citoyen journaliste va se substituer un jouer au journaliste citoyen. ”

* * *
[communiqué de la direction]
Ce documentaire vient de déraper plus tôt que prévu dans sa 2eme partie,
nom de code :
A défaut d’y comprendre quelque chose, pétons la gueule au net.
* * *


JEAN-PIERRE ELKABBACH

– Certes, la révolution d’internet favorise, accélère et transforme chaque internaute en créateur d’événements…
[note bien pour ton lexique d'avaleur d'actu : L'internaute crée de l'évènement, le journaliste fait de l'info.]
…Mais toutes les expériences citoyennes ont besoin de vrais journalistes pour sélectionner, vérifier et écrire. Alors chacun à sa place.
[... et personne à la sienne]

QCM : Que désigne par ce geste cet éditorialiste multi-support ?
a / le crédit qui lui reste auprès des politiques ?
b / le crédit qui lui reste dans l’opinion ?
c / le crédit qui lui reste dans sa propre rédaction ?

Résumons la position d’Elkabbach sur le rapport net / info :
Parce qu’on a pas d’équipe sur place, reprendre au JT une émeute filmée chez lui par un iranien ou un chinois qu’il balance sur le net au risque de sa vie en déjouant la censure : C’est un formidable outil.

Qu’une équipe de télé ayant filmée un flag de racisme pépère d’un ministre soit contrainte de diffuser sur internet la séquence en question parce que sa propre direction l’autocensure : C’est un danger pour l’information.

CQFD : C’est en Chine et en Iran qu’Internet c’est bien.
(ça tombe tien avec Loppsi 2, on y va direct.)

Illustration visuelle :
Elkabbach en plein close combat radiophonique, sans protection et à moins de dix mètres d’un socialiste enragé et sans muselière.[2]

VOIX OFF MODE FESTIVAL DE CANNES
“- Pujadas, Val, Elkabbach.. une sacrée brochette de professionnel rassemblés ici pour dire à peu près la même chose : C’est en nous journalistes que réside la meilleure réponse à la crise des médias.”

En décodé, version rente : Nous sommes le problème mais comme nous percevons le gros salaire, nous sommes également la solution.

A ce stade, un doute m’assaille. N’assisterais-je pas à une énorme parodie de documentaire à l’anglaise ? Non, non c’est bien du premier degré à la française : La tragi-comédie apocalyptique des suffisants qui expliqueront jusqu’au bout pourquoi eux ont tout compris et les autres rien du tout.

VOIX OFF MODE : TIENS JE VAIS QUAND MÊME POSER UNE QUESTION
«- …Sur le web chacun crée son propre média et se croit journaliste. Alors question à quoi servent encore les journalistes si l’on sait tout sur tout en temps réel ?

AXEL GANZ Patron allemand de Prisma Press :
« – Notre société vit une explosion de l’info sans filtrage [...] c’est pour cela que l’ère internet est vraiment dangereuse. Pire encore, l’information se diffuse de manière totalement anarchique…
[Cette information pas payée qui s'en va partout, ça lui brise les rouleaux au big boss de l'info.]
…et je pense qu’à long terme cela provoquera sur la jeunesse un scepticisme sur les valeurs de notre société
[Autre pronostic du prophétique coupé au montage : A moyen terme, le format MP3 risque de causer la chute des ventes de 78 tours.]
” – Je crois donc qu’il est urgent de tirer la sonnette d’alarme, il faut que les médias traditionnels échappent à cette banalisation de l’information…
[Note interne : CNN a été crée en 1980. Internet grand public s'est développé 20 ans après]
…sinon ils vont y mourir.”

Axel Ganz a tout compris, il a free dans le dos.

Pre-supposant que la presse et information vont de pair, pas à un moment n’est esquissée l’hypothèse que l’information sur internet est, peut être, parfois, sait-on jamais, de qualité. Ah non pas de ça ici !

Mais qui vois-je ? Arlette Chabot, chaleureuse patronne de l’information à France 2 :

ARLETTE CHABOT
- Méfiez vous des adeptes des théories du complot. La vérité serait sur la toile tandis que les médias traditionnels soumis à des pressions vous cacheraient la vérité ? Alors c’est vrai, grâce à Internet aucune information ne pourra jamais plus être dissimulée ou enterrée mais, en revanche, je vous demande d’être prudent parce qu’un jour vous apprendrez que vous avez été manipulés. La traçabilité des images sur internet, origine, auteur, diffuseur, n’est pas garantie. Ayez en tête que le buzz peut être organisé par des sociétés…”

Tiens prends ça canaille d’internaute[3] au cas où t’aurais pas encore compris avec le film d’avant que ton réseau incontrôlé était le repère de tous les crétins illuminés[5] prêts à aux amalgames les plus grossiers pour démontrer ce qu’ils ont préalablement décidés. Pas comme avec les journalistes en colère.

– Des connards y en a toujours eu mais maintenant avec leur réseau,
ils ne nous regardent plus.

Et l’incorruptible journaliste d’accuser cette saloperie de web qui a poussé, un flingue sur la tempe, sa rédaction à diffuser l’année dernière de fausses images d’un bombardement à Gaza.

A propos d’internet….Interlude visuel :
Succession brutales d’images animées représentant des captures d’écran et des images du 11 septembre symbolisant le web. Le tout grossièrement filmé et monté à vive allure, en totale rupture formelle avec le reste du documentaire constitués de plans stables et d’éclairages soignées.

- Tu vois mon cono, là y a des tours qui tombent. Ça veut dire qu’on est sur internet.
- Ah d’accord… Mais pourquoi c’est filmé sur un écran de télé alors ?
- Ta gueule c’est de l’info.

La voix off, jusque là un peu réservée, se lâche enfin :

VOIX OFF MODE MENACE FANTÔME
«- Sur internet, les pires rumeurs prolifèrent comme de mauvaises herbes [...] Internet est une zone grise pour l’information »
[Non ça s’appelle un réseau ouvert et participatif. De là à tout suspecter c'est un peu comme si, au titre que mon voisin me casse les oreilles avec ses CD de Lara Fabian, j'allais demander à la police de dynamiter le quartier pour prévenir le risque de contagion.]

Edwy Plenel ancien du monde parti à Médiapart (journal en ligne)apporte un peu de modération au forum de la pensée unique.

- Bon mon petit Edwy, faut la jouer fine.Toute la blogosphère te regarde. Avec une émission pareille y a de quoi se faire déchirer sur internet pour 3 siècles.

EDWY PLENEL
« Quand la démocratie est jeune, elle est toujours excessive… comme toute nouveauté. [...] Nous [les journalistes] étions indispensables en terme de relais des opinions : C’est fini [...] Je crois que c’est une très bonne nouvelle car cela nous remet à notre place [...] L’opinion, le jugement, le point de vue, ce n’est pas notre monopole, ça appartient à tout le monde. Le travail sur l’information, l ‘investigation, l’enquête sur le terrain c’est notre job. Concentrons nous là dessus [...] et le reste est ouvert à la discussion »

- cool, j’ai assuré !

Le documentaire entre dans sa troisième partie synthétisée à merveille par la première phrase de Franz-Olivier Giesbert« une grande figure du journalisme français ». Phrase dont j’ai viré le gras pour en faire ressortir l’idée force :

FOG
« – Le problème avec le choc internet c’est que [...] les journaux perdent de l’argent »

Et oui, fallait y penser, le journalisme va mal parce qu’Internet pompe sa pub !

Dans le genre, comment prendre un problème à l’envers, le raisonnement de FOG est un modèle : Comme le net pique leurs lecteurs, les journaux ne vendent plus et donc ils deviennent dépendants d’autorités économiques ou de l’état. Logique.

1er rectificatif : Les annonceurs fuient les journaux parce que ces derniers ne vendent plus assez. De là à dire que la publicité va exclusivement se reporter sur internet, c’est une affirmation un poil précipitée. Mais enfin bon, au cas où, on envisage quand même une taxe Google. (Ou, comment taxer les innovations étrangères qu’on a pas eu l’ingéniosité de financer localement histoire de financer ceux qui perdent du pognon.)

2e rectificatif : C’est parce que les lecteurs ont le sentiment que les journaux, étant donné leur contenu, ne sont plus indépendants qu’ils se reportent de plus en plus sur le net et les journaux gratuits.

Encore un peu, et je vais me demander si ce documentaire n’est pas complotiste….

Dernier intervenant : Eric Fottorino, boss du Monde « un journal qui souffre financièrement mais qui reste la référence », livre sa profession de foi :

LA PROFESSION DE FOI D’ÉRIC FOTORRINO
« – Il arrive aux géants industriels de contrôler de grands médias…
[scoop]
…l’indépendance de la presse doit être économique pour être éditoriale…
[re-scoop]
…c’est la seule condition possible pour n’être ni de droite, ni de gauche…
[Le fait qu'il y ait une presse orientée politiquement n'est pas un problème, le problème c'est qu'elle le soit systématiquement du côté du pouvoir en place.]
…pour être le plus incisif possible dès lors que le travail éditorial est fiable, effectué avec honnêteté et bonne foi, avec combattivité aussi, face aux professionnels du lobbying et de la désinformation. La presse écrite doit être un contrepouvoir.”

VOIX OFF MODE LAPIN CRÉTIN
” – C’est bien la prétention de tous les médias, d’être un contre pouvoir.
[euh… là aussi l'affirmation est excessive.]
…Mais plus facile à dire qu’à faire, sauf si on s’en donne les moyens, c’est ce que fait “Le Monde” depuis longtemps, non sans mal.”

Et Fottorino de se vanter que jamais aucun patron ne l’a appelé pour se plaindre d’un article.

- Bon les boys : vous écrivez ce que vous voulez.
Une seule consigne : ne gêner personne.

Il confesse avoir reçu un petit coup de fil du monarque lui reprochant de ne pas avoir assez bien rapporté un voyage à l’étranger. Et bien, le prochain voyage du président, il en parlera encore dans son journal ! Non mais ! On ne la lui fait pas à Fottorino. Intouchable qu’il est.

Dans un soucis d’objectivité, après avoir passé 10 minutes à casser du net, la voix off nous précise enfin que les grandes groupes de presse français vivent désormais sous perfusion de l’état.

Et bien voila… Fallait peut-être commencer par là non ?

Pour info, le titre allemand du documentaire était :

Les faiseurs d’opinion français font leur valise.”

- M’en fous, j’ai un bail à vie.

[1] Dans le genre je conseille le nettement plus rigolo, et un minimum documenté, “2012, la conspiration de l’apocalypse“de Dimitri Grimblat.

[2] Laurent Fabius.

[3] En langage télévisuel : ces tarés qui n’ont pas la télé.

» Article initialement publié sur Les jours et l’ennui de Seb Musset

]]>
http://owni.fr/2010/02/12/apocalypse-news/feed/ 0
Le bodybuilding, “une sorte de liberté” http://owni.fr/2010/02/09/le-bodybuilding-une-sorte-de-liberte/ http://owni.fr/2010/02/09/le-bodybuilding-une-sorte-de-liberte/#comments Tue, 09 Feb 2010 09:57:17 +0000 Admin http://owni.fr/?p=7860 Un reportage qui mêle images et sons et qui part à la rencontre de bodybuilders palestiniens et israeliens.

Un sujet du photographe Joseph Melin, qui est natif de Saint-Amand-Montrond. Vidéo/montage de Simon Pittet.


Pour aller sur son site.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Le bodybuilding, “une sorte de liberté” from Joseph Melin on Vimeo.

» Article initialement publié sur Images et sons du Berry

]]>
http://owni.fr/2010/02/09/le-bodybuilding-une-sorte-de-liberte/feed/ 1
#wedidit : Un WE complet au Nouveau Centre ! http://owni.fr/2009/09/03/wedidit-un-we-complet-au-nouveau-centre/ http://owni.fr/2009/09/03/wedidit-un-we-complet-au-nouveau-centre/#comments Thu, 03 Sep 2009 20:44:04 +0000 Jean Michel Planche http://owni.fr/?p=3238

Et voila, je suis revenu de mon premier WE “politique“. Tout de suite, je mets en garde les ricaneurs de tous poils : il n’y avait pas de nudistes au domaine d’albret , lieu de la 2ème université d’été du Nouveau Centre (au fait, c’était là). J’avais été invité à assister et surtout à participer, en tant “qu’orateur”, aux débats sur “le numérique”.
Mon idée n’est pas non plus de suggérer un talent d’exhibitionisme chez mes hôtes. (bien que je le regrette car certaines étaient charmantes).Non, l’image choisie est plutôt pour moi. Paul Prébois : c’est moi. Le gars parachuté à un moment improbable, le regard hébété, le sentiment de ne pas tout comprendre et de ne pas connaître tout le monde : c’est moi.

Déjà deux mots du contexte.

Tout est parti des “droits numériques”, qu’Hervé Morin, en tant que grand chef du “parti des libertés”, a souhaité. J’ai au départ été associé de loin (je n’avais pas voulu plonger, dubitatif que j’étais) et quand on m’a présenté le résultat des cogitations, il a bien fallu que je me mouille. (il faut cliquer ici pour ceux qui n’ont pas suivi)

Conscient que la critique est facile, quand on m’a demandé d’aller plus loin, je ne pouvais plus me défiler et j’ai accepter de phagocyter mon WE.

Le prétexte : la table ronde N°6 “vers une déclaration des droits fondamentaux numériques”.

Le panel promettait d’être intéressant, puisqu’outre votre serviteur, on retrouvait les deux plus grands avocats de France du sujet (moins par leur taille que par leur talent) : Maitre Kahn et Maitre Bensoussan, mais aussi un Président et Ministre (Hervé Morin), un Député et Maire (Jean Dionis du Séjour), une sénatrice et Présidente du groupe ??? au Sénat (Catherine Morin-Desailly), Thierry Happe de Netexplorateur que j’ai plus apprécié après que pendant (mais nous y reviendrons) et Pierre Vallet, que je découvrais mieux et dont j’ai apprécié le décodage et la patience.

Les premiers doutes m’assaillent …

Au delà de l’intérêt du sujet : première interrogation de ma part, qui sont généralement suffisant pour me faire systématiquement refuser ce genre d’intervention : aussi peu de temps, pour un sujet aussi fondamental, avec autant de “clients” … est-ce bien raisonnable ?

La réponse est non, bien sûr, MAIS … nous avons eu deux défection : Hervé Morin et Jean Dionis du Séjour.
Tout n’était donc pas perdu. Par contre, pour capturer l’attention de l’auditoire, il me restait à neutraliser les deux orateurs professionnels : mes compères avocats.
Là, je m’attaquais à du lourd. Presque autant que de faire comprendre la logique d’ouverture et de neutralité aux députés pro-lois en “i”. (#hadopi, #loppsi …)
Mais c’était sans compter sur la providence.

J’avais travaillé dur, la veille, à faire manger à Daniel, tout un tas de choses qui ne lui laisseraient que 5 mn d’autonomie avant de s’absenter promptement. (vive les pruneaux !!!).

En ce qui concerne Alain, la chose était plus délicate. Il ne boit pas, il ne mange pas … MAIS … il semblait légèrement affaibli. (une petite grippe ?)
J’entendais donc profiter de son état fébrile et le neutraliser grâce à un atémi à la gorge. Je souhaitais ensuite l’attacher par les pieds, avec ses lacets, mais le bougre avait tout prévu …

Las … tous mes efforts furent vains, je n’avais pas vu le coup venir du coté du Netexplorant, qui a eu la primeur de commencer la conférence et de bien s’installer dans celle-ci, à son rythme avec toutes les ficelles des marketeux 2.0, pour faire rêver les foules : powerpoint, film de propagande réalisée par des Stanford près IPO. Arghhhh …. on est passé de twitter pour les nuls à CarrotMob pour les doctorants. Il nous a tout fait le bougre pour bien nous montrer le doigt, lorsque nous pensions que nous allions atteindre la lune ou plutôt “les libertés numériques”. Résultat, 50% du temps de la table ronde partis s’occuper de la couche d’ozone.

Ensuite, petite appartée vers Pierre, qui a fait ce qu’il a pu, tant la transition était aussi difficile que de faire le grand écart entre #hadopi le Ministère de la Culture et le Centre national de la danse.

Puis, arrive mon tour

Alors, que nous n’avons pas commencé à parler vraiment du pourquoi et du comment (je comptais sur les baveux pour cela), je dois dire quelque chose. Quelque chose qui justifie ma présence, les frais (de train, d’hébergement et de bouche) engagés par le Nouveau Centre. Quelque chose qui marque les esprits. Quelque chose qui soit à la hauteur de ma supposée réputation, puisque Daniel ne cessait de me présenter partout comme “le plus grand, in the world, qui comprend quelque chose à l’Internet”. (d’ailleurs merci Daniel, grâce à toi, j’ai failli faire support technique Darty, mais j’y reviendrais)

J’ai donc parlé de … neutralité et expliqué pourquoi on ne pouvait pas laisser réguler l’Internet sans réagir alors que les instigateurs nous font croire qu’ils ne pensent qu’au Web. J’ai parlé de réseaux de flux et expliqué qu’ils ne pouvaient être transparents aux désidératas de quelques personnes aux tenues variolées.Comme je suis un garçon bien élevé et économe du temps des autres, à 3m45, je me suis auto-censuré hara-kirisé pour laisser la place sonore aux ténors du barreau.
Je me disais que cela ne serait pas grave. ce que je disais était si important et tellement intelligent, (humour) vu les applaudissements nourris, que nous aurons le temps de débattre avec la salle : écouter leurs réactions, expliquer, échanger, convaincre, comprendre les attentes.
Bref, que débat il pourrait y avoir.

Circulez, il n’y a rien à voir …

Que nenni … dès la fin de l’intervention (brève, merci !) de la sénatrice, nous avons été guidé vers la sortie par un brillantissime “Hervé Morin nous attend et vous pourrez avoir l’occasion de parler de tout cela sur le chemin”.Là, j’avoue que c’était du grand art. Je ne sais pas si toute cette sémantique, cet art d’orienter par une main de fer dans un gant de velour s’apprend à l’ENA, mais là, je dis : très très fort. Mon ambition de partage, d’échange venait de s’écrouler en un instant … mon WE s’annonçait difficile, très difficile.

Ceci m’a quand même permis d’échaffauder une théorie sur le chef … ce qui me servira surement plus tard, si d’aventure je me risque en politique … mais nous y reviendrons …

Pour le moment : Fin de la première partie … demain la deuxième sur les enseignements et le bilan de ce WE …

————————–
Seconde partie
————————–

… suite de mon billet sur mon immersion “dans le monde politique”, avec le #NouveauCentre. (car il faut quand même y aller progressivement)Il est certain que le bilan de notre table ronde n’est pas extraordinnaire. J’ai eu UNE question d’un militant et j’ai osé … j’ai botté en touche.

20 ans d’expérience m’ont permis d’évacuer l’impudent vers quelqu’un de plus patient que moi (Pierre, si tu me lis …). Il (le militant) ne votera jamais pour moi, car je passe maintenant à ses yeux pour un in-culte du Net. Je m’en excuse, mais quand vous demandez au Saint-Père (Jean-Michel Premier) de prêcher sur le manque religieux au XXIème siècle, il ne faut pas venir le faire chier avec des histoires de clocher ! ( ;-) )

Mais au dela, que dire de ce WE

Je suppose que si vous me lisez, vous n’attendez pas que je serve la soupe.
Vous dire que j’ai été impressionné par la foule en liesse, la hauteur des points de vue et tout et tout … depuis Steve Jobs, on a beaucoup de mal à me la faire … et même lui n’y parvient pas toujours.

Alors on va déjà commencer par le bien …

Les petites mains : Je suis toujours adminiratif du travail de ceux qui ont oeuvré dans l’ombre pour rendre ce genre d’évènement possible. C’est *toujours* un travail ingrat, qui plus est, trop vite oublié.

Les militants : Pour une “première fois”, je ne voulais pas être en contact avec des fans hystériques où qui m’auraient pris la tête avec des idées qui m’auraient forcées à réagir. Non, je voulais juste voir des gens normaux. Je voulais comprendre qui, ils étaient. Pourquoi sacrifiaient-ils ainsi leur WE, au profit de leurs idées, d’une “famille politique”. Là, c’est plus étonnant pour moi. Dans l’entreprise, on a beaucoup de mal à mobiliser ainsi … C’était très étonnant et particulièrement raffraichissant.
Si on ne s’insère pas facilement dans une conversation, on peut parler facilement à tout le monde, sans doute aidé par ce sentiment d’appartenance : “si tu es avec moi, fin août au trou du c… du monde, c’est que nous avons quelque chose à partager …”

J’ai par contre été étonné par le coté “docile”. Les orateurs parlent et les militants applaudissent. Une sorte de distance “publique” semble se faire naturellement. Personne ne coupe la parole. La prise de parole de l’auditoire n’est d’ailleurs pas une habitude. Par contre, les gens semblent très heureux de pouvoir serrer des mains connues et plus encore de prendre quelques photos.

Mon égo : Et je ne vais pas finir ce tour de route sans parler de celui qui a 10/10 pour moi. Celui qui a réussi à flatter mon égo, qui en avait bien besoin tant ce WE fût aussi rafraichissant pour moi que si Arthur et Gad Elmaleh étaient allés à Los Angeles pour se faire remarquer.
Celui qui m’a spontanément serré la main, qui m’a accordé 22 secondes de bdw et surtout … qui m’a fait croire qu’il se souvenait de moi. (depuis 1993) J’ai nommé : Jean-Marie Cavada. Là, je dis bravo, du grand art. Les autres politiques peuvent en prendre de la graine …

Ceci dit, je remarque qu’il semble y avoir une “mémoire comportementale du lieu”. Le lieu créé, non pas la fonction (c’est l’inverse), mais le niveau d’intérêt qui mesure l’importance donnée à l’interlocuteur. Lorsque le samedi je déjeunais dans le “carré VIP”, j’ai croisé beaucoup de regards interrogateurs et polis qui se demandaient qui j’étais et ne voulant pas risquer de montrer leur in-culture, par défaut me saluaient comme si j’étais quelqu’un d’important. Je ne citerais pas de nom, mais le plus amusant pour bien mesurer la vacuité des choses est de voir les mêmes à la sortie de leur quart d’heure de gloire, après une conférence. L’autre devient un anonyme que l’on salue machinalement ou pas, le regard vague. Tout ceci me rappelle bien quelques pensées Shadokiennes : “dans la marine, il faut saluer tout ce qui bouge et peindre le reste” ;-)

Oserais-je parler du moins bien ?

En fait, je n’ai pas forcement le recul nécessaire pour juger les choses, coté politique, mais j’ai quand même un sentiment d’électeur, de citoyen et surtout d’entrepreneur de la chose numérique ….

NDLA : le rédacteur de ce blog est a-politique publiquement. Il est prêt à aider tout le monde, du moment que cela fait progresser notre société, notre pays et que cela lui donne l’illusion qu’il laissera le pays dans un état meilleur que celui qu’il a trouvé en arrivant “aux affaires”. Il a une pensée, des convictions, mais pour le moment, il a réussi à ne pas tout mélanger. Ce blog est un blog personnel, qui parle “de la chose numérique” souvent et de notre vie de tous les jours, telle qu’il (l’auteur) l’aperçoit de sa fenêtre. C’est pour cela que cette rubrique se nomme : From My Balcony. (en hommage aux deux vieux du Muppet show qui donnaient leur point de vue “acide” sur tout ce qui bouge)

Cette mise en garde faite, nous pouvons reprendre le cours de notre émission :

Prenons un exemple. Lorsque j’ai découvert le slogan des tee-shirts bleus, j’ai cru à une blague. Un collègue de voyage me dit “ça doit être les jeunes qui ont fait ça, ils ont cru bien faire”. Que nenni … Habitué de quelques grands groupes et de la centralisation de leur communication, je sais que ce genre de “détail” ne peut être un hasard.

Et j’en ai eu confirmation par la suite, dans différents discours. La libération de strapontin de Bayrou semble donner un boulevard au nouveau centre, qui n’a alors plus à se définir comme un nouveau centre, mais comme le centre, tout court. Et quel meilleure idée que l’équation finale : (nouveau) centre = UDF (d’aujourd’hui) ?Seulement, manque de chance pour ma génération … UDF, me fait plus penser invariablement à Coluche et à ses positions sur Lecanuet. Sans parler de la mémoire subliminale de CA ou CA ou encore CA . Ca tue !

Je comprends la volonté de perpétuer les traditions et de se réinstaller dans une sa place, mais franchement le slogan  “le nouveau centre, c’est l’UDF d’aujourd’hui”, c’est énorme. C’est un peu comme si Google se lançait avec la base line “Google: le SVP 11.11 d’hier à portée de mulot” …

Je ne veux surtout rien conseiller, je ne suis qu’un humble vermiceau, mais je me demande si la lecture de quelques auteurs de nos secteurs, qui ont aidé à la construction des Apple, Microsoft, Oracle et des autres ne serait pas utile ?Je pense, bien sûr, à Geoffrey Moore, entre autre.

Mais écrivant ceci, je me demande si c’est applicable à la politique. Tant les NTIC ont dû se doter d’un mode de pensée, d’un management, pour gérer des cycles courts. Tant la politique me semble sur une autre échelle de temps, pour ne pas dire en dehors du temps, ce qui serait méchant. Je me demande même si l’on peut parler d’INNOVATION, tant j’ai peur de dire un gros mot.
Mais quand même … je maintiens que la politique aurait beaucoup à apprendre gagner à s’ouvrir au monde des NTIC à l’échelle internationale.
Pas au niveau “technique”, mais au niveau stratégique, organisationnel et j’oserais : philosophique !
Aucun courant politique n’a les moyens de structurer notre vie, de reprogrammer nos neurones, comme le font des Apple, Google et … ???Note de dernière minute, lors de la relecture de ce billet : la tirade que vient de faire F. Mitterand disant que NKM et lui étaient sur la même longueur d’onde est parfaitement illustrative de la non-compréhension de ce que j’écris ici (Frédéric, si tu me lis …). Je cite avec nkm, nous marchons d’un même pas. Nkm étudie la technique, nous la culture, le fond donc. C’est tout aussi inapproprié que lorsqu’un transfuge de la télévision débarque chez un opérateur télécom et annonce qu’il faut “marier les contenus et la technologie”. Tant que nos politiques confonderont Numérique / Internet / Web / Technique / Technicien / Greugreu … on n’ira nul part ou plutôt si : on continuera d’opposer deux mondes alors que l’on devrait tout faire pour vivre dans un seul.

Et pourtant nos politiques regardent parfois le numérique avec des yeux embués … lorsqu’ils parlent de son omniprésence lors de la fameuse campagne de Barack Obama, par exemple. On se demande pourquoi … ;-)

A ce sujet, le Nouveau Centre présentait sa nouvelle plateforme Internet, qui semble bien plus avancée que celle de partis qui disent qu’ils vont y réfléchir (toujours Bayrou) ou de ceux qui disent qu’ils vont l’avoir à la fin de l’année. Je dis bravo MAIS … j’ai beaucoup entendu la référence Barack Obama. Je me demande si l’exemple est totalement pertinent. Je me demande si le militant et l’électeur Français ne sont pas très différent de leurs homologues Américains. En tous les cas je souhaite bon courage à cette initiative. Elle est clé et le seul moyen intelligent de maintenir un lien fort avec ses militants, quand la proximité physique n’est plus.

Et peut être plus utile … ce que j’aurais aimé y trouver

Peut-être un esprit “numérique” plus développé et surtout une réalité de débat. Mais je ne pense pas que ce soit une spécificité Nouveau Centre. Tous les partis doivent fonctionner comme cela. L’hyper starisation du / des chefs n’aide pas à faire sentir à tous qu’ils sont impliqués et qu’ils écoutent. Ceci dit, tous (les militants) l’attendent-ils ?
Les chefs arrivent avec des idées toutes faites, les expliquent et la foule applaudis.
Je ne comprends pas comment cela peut fonctionner, surtout avec des chefs qui sont aux affaires (au gouvernement ou avec de fortes responsabilités).
Comment peuvent-ils avoir le temps de la réflexion, du doute, de l’échange avec l’autre pour se forger une intime conviction qui ne tient pas du dogme, sans même parler du temps à se forger une compétence certaine ?

Mais pour moi, le plus grand problème est le mode 1.0 des échanges : “ce qu’ils ont a me dire est plus important que ce que j’ai moi à dire”. C’est dépassé. Il ne faut pas non plus tomber dans le n’importe quoi des débats participatifs ou par exemple dans le travers de la démarche d’Eric Besson lorsqu’il était au manette du “numérique” et qui a conduit au plan escargot.

Un exemple: j’ai assisté à une table ronde sur les “libertés”, en présence du Ministre et j’ai été très intéressé par un intervenant qui nous a parlé de sa vision pour rétablir un ordre économique (et moral) des choses. Il nous a expliqué la difficulté et la pression des “sédentaires” et nous a brossé un portrait idylique des “nomades“. On ne parle pas d’officialiser Robin des bois et de voler les riches pour donner aux pauvres. Non la manoeuvre est plus subtile. Et de nous expliquer que les travailleurs (les sédentaires) sont injustement trop lourdement écrasés par des taxes, des impôts, des prélèvements, tandis que de l’autre coté, d’autres, sans attache particulière, quasiment sans foi, ni loi, vont commercer où bon leur semble et avec leurs propres règles pour s’en mettre plein les poches.

Que ces présentations bi-polaires sont pénibles et usités et ne font que tendre toujours et encore à nous opposer !

Risible comme présentation, mais croyez-moi, cela fait toujours son effet, surtout quand vous vous arrangez pour que votre auditoire ait le bon rôle (les sédentaires) et fustigez l’autre, absent, c’est plus facile : les nomades.
Mais, au fait, qui sont-ils ?
Sont-ce des financiers ? Les grands patrons (voyou) ? Les étrangers à l’étranger ? Les gens du voyage ? Les gestionnaires froids qui décident d’un clic de mulot où délocaliser ?
Mais non … vous n’y êtes pas … cherchez mieux … qu’est-ce qui se multiplie à l’infini, sans relation linéaire avec un coût de production ?

Ca y est … vous y êtes … LE NUMERIQUE. Il parlait bien du Numérique et de nous donner quelques exemples en taxant les … SMS (pourquoi pas) … les échanges de biens permis par l’Internet … l’Internet lui même. On n’en est même plus là à parler de taxer les fournisseurs d’accès, ce qui n’est pas très ambitieux, avouons-le. Non, on en est à imaginer de taxer le numérique et potentiellement tout échange dématérialisé nomade … arghhh …

Et pensez-vous que nous en ayons parlé plus ? que nous ayons pu débattre, essayer de faire passer des idées de base à ce libre penseur ? … devinez ….

Conclusion (enfin)

Ce WE m’a été très instructif tant j’ai pu toucher de près “la chose politique”. Mais à vrai dire, je pensais qu’il n’y avait que MacDo, Disneyland ou IKEA pour me faire cet effet. D’un coté on se jure de ne jamais y revenir. On peste contre soit, stupide qu’on était de s’être fait, encore, prendre. Mais de l’autre … un je ne sais quel besoin naturel nous pousse vers la chose que l’on sait mauvaise pour sa santé (physique surtout ;-)) … et on y retourne avec plaisir.

Aussi, j’en tire quelques enseignements qui pourraient m’être utiles … le jour où le métier d’entrepreneur ne hantera plus mes jours et mes nuits et où je serais suffisament inconscient pour me mettre totalement au service des autres. A ce moment là, on pourra peut être enfin lancer notre parti, le parti des “e-glandus” … Si vous me suivez sur Twitter, vous savez d’ailleurs que j’ai avancé, déjà en choississant une méthode 2.0 de conception.
Au lieu de faire comme tout le monde en se disant :

  1. avec qui ?
  2. pour faire quoi ?
  3. avec quelles valeurs ?
  4. quel logo ?
  5. quelle base line ?
  6. quel nom ?

Je me suis dis que si l’on faisait l’inverse, on devrait pouvoir faire différent et peut être mieux …
C’est toujours ce qui m’a guidé. Ne pas faire comme tout le monde … et je peux vous dire que cela fonctionne !

Mais on y reviendra … pour le moment, avançons sur twitter et n’hésitez pas à participer … Ce n’est pas très sérieux pour le moment, mais sait-on jamais ;-)

Donc une conclusion évidente : l’art de la chaise vide

Souvenez-vous de Nicolas Sarkozy lors de l’annonce du plan numérique d’Eric Besson.Voyez, Alain Juppé qui devait être là, avec nous … point d’Alain Juppé du WE. La difficulté de déplacement depuis Bordeaux (123 km, 2h40 Aller / Retour) ou son WE devaient avoir plus de valeur que les notres. (700 km et plus de 10h de TGV Aller / Retour)

Voyez Hervé Morin à la table ronde N°6 … il ne fallait pas qu’il soit là. Il ne l’a pas été. Ni même Jean Dionis du Séjour. Il fallait qu’ils soient ailleurs, dans le monde des idées, qu’ils puissent garder la possibilité d’orienter, de conclure par personnes interposées. C’est peut-être pour cela que Bush Junior a, semble t-il été aussi “absent” durant son règne ? (on parle de 1 jour sur 3 de “congés”)

Et surtout …

Les principes fondateurs d’un chef emblématique

  • Le Chef doit être vénéré,
  • Pour cela, le Chef ne doit pas être trop accessible,
  • Le Chef doit être souvent “ailleurs”,
  • On doit imaginer le Chef en train de faire quelque chose d’encore plus important,
  • Si le chef est là, il doit dire qu’il est désolé, mais qu’il doit partir dans 3 mn (du vécu : encore vu à l’instant dans une table ronde de l’université d’été du medef)
  • Il faut parler pour le Chef, d’un air mystérieux, à la troisième personne du singulier, comme “Alain Delon”,
  • Le Chef doit organiser sa propre pénurie,
  • Le Chef est de l’ordre du 1.0, du matériel.
    Sa valeur est son manque et se mesure pas la qualité de son absence.

Sur ce … bonsoir … je vais me faire absent pour créer le manque ;-)

> Billets initialement publiés chez Jean-Michel Planche [1/2]

——————————-

NDLR : Les Universités de rentrée s’enchainent. Nous tenterons de donner suite à ce double billet de Jean-Michel / @ vous /-)

——————————-

]]>
http://owni.fr/2009/09/03/wedidit-un-we-complet-au-nouveau-centre/feed/ 4