OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 La victoire des nerds http://owni.fr/2012/11/19/la-victoire-des-nerds/ http://owni.fr/2012/11/19/la-victoire-des-nerds/#comments Mon, 19 Nov 2012 16:24:45 +0000 Andréa Fradin http://owni.fr/?p=126181 The Atlantic raconte comment, en 2012, la campagne d'Obama s'est (enfin !) jouée sur Internet. Aux côtés de codeurs barbus et binoclards, elle a intégré l'infrastructure et l'esprit du réseau. ]]>

“Cette année, la campagne s’est jouée sur Internet”. Effet de bord des “buzz” et autres “clashs” politiques 2.0, la formule est désormais une tarte à la crème des élections. De la présidentielle à la nomination d’un chef de clan, chaque rendez-vous du genre est censé marquer l’avènement d’une nouvelle approche politicienne du Net, forcément plus fine et plus adéquate – sans que les faits suivent vraiment le discours.

Le marronnier a explosé après 2008, et la campagne très web-friendly de Barack Obama, dont commentateurs et politiques de tout pays — la France en tête — se seraient inspirés avec plus ou moins de succès. Quatre ans plus tard, le bruit se fait moins entendre. Pourtant, la campagne américaine s’est jouée plus que jamais sur Internet. Ou plus exactement en son cœur. C’est moins visible mais autrement plus impressionnant. Et efficace.

Narval contre Orque

The Atlantic explique ainsi dans une longue enquête comment l’infrastructure du Net a été mieux considérée et exploitée par l’équipe de campagne d’Obama en 2012.

Contrairement à l’épisode précédent, celle-ci est allée chercher des techniciens de réseau. Une quarantaine d’ingénieurs, de “nerds”, comme ironise le magazine américain, qui ont “bâti la technologie dont ils avaient besoin pour faire réélire le Président”. Des mecs “de Twitter, Google, Facebook, Craigslist, Quora” détaille entre autres The Atlantic, dont les portraits viennent renforcer l’imaginaire geek : grosses lunettes, barbe fournie et belle bedaine.

Autoportrait d'Harper Reed, style Obama par Obey (CC by nc nd)

Il suffit de jeter un œil au chef de cette e-brochette pour comprendre : Harper Reed, codeur binoclard à moustache rousse et ancien directeur technique de Threadless, un site de vente de tee-shirts et goodies geeks – les amateurs reconnaîtront.

“Il soutient l’open source. Aime le Japon. Dit ‘fuck’ sans arrêt. Va dans des bars de hipsters qui servent de la nourriture végétarienne mexicaine, où le quart des employés et des clients ont des moustaches. [...] Il est ce à quoi un roi des nerds pourrait ressembler”, décrit The Atlantic. Et Reed de conclure sur son site personnel qu’il est :

Probablement l’un des mecs les plus cools de la Terre

Bref, drôle d’attelage au sein du bestiaire politique. Pour un résultat pourtant édifiant : la mise en place d’un panel d’outils informatiques dont le clou du spectacle, “Narwhal” (“Narval” en français), permettait de brasser en temps réel toutes les informations disponibles sur la campagne, les votants et les bénévoles. Une plate-forme d’organisation et de communication gigantesque, mise à disposition de l’équipe d’Obama. Face à cette baleine unicorne, le camp républicain avait choisi de déployer “Orca” (“Orque” en français), car, explique The Atlantic qui cite les soutiens de Mitt Romney :

L’orque est le seul prédateur connu du narval.

Sauf que cette fois-ci, Willy n’a pas pu être sauvé : l’outil de Mitt Romney a crashé aux premières heures du jour J. Et ne faisait de toute façon pas le poids face à l’envergure de celui d’Obama.

Les mystérieuses bases de données de Mitt Romney

Les mystérieuses bases de données de Mitt Romney

Aux États-Unis, le candidat républicain joue avec des bases de données (et avec la vie privée) de millions de potentiels ...

L’équipe du Président américain a appris de ses erreurs, poursuit le magazine américain. Quatre ans auparavant, sa plate-forme s’effondrait à la manière de celle de Romney en 2012. “L’échec de 2008, entre autres besoins, a poussé la version 2012 de l’équipe d’Obama à internaliser des techniciens”, poursuit The Atlantic.

Rien n’a été laissé au hasard. Des simulations ont même été lancées pour parer au pire des scénarios susceptibles de se produire le D-Day. Plusieurs sessions intensives pendant lesquelles les nerds d’Obama tentaient d’éviter la paralysie de leurs outils de campagne en ligne, en trouvant des remèdes à une succession de pannes sortie de nulle part ailleurs que leur esprit génial.

Ils “détruisaient tout ce qu’ils avaient construit”, comme le raconte Harper Reed au magazine américain. A l’instar d’astronautes surentraînés, ils avaient une checklist pour chaque incident, le tout compilé dans un “runbook”. Ce petit jeu leur a par exemple permis de ne connaître aucun temps mort au passage de l’ouragan Sandy, fin octobre, qui a noyé bon nombre de serveurs situés sur la côte Est des États-Unis.

Les nerds d'Obama avec le boss de Google, Eric Schmidt, le jour de l'élection. YOLO ! (CC by nc nd)

YOLO

Au final, aucun cyclone ou aucune attaque extra-terrestre n’est venu perturber le cours de l’élection. Les mecs ont même eu le temps de “concocter un petit badge pour fêter ça” raconte The Atlantic. Badge reprenant la dernière expression branchée “YOLO”, “You Only Live Once” (“On n’a qu’une vie” en français) en version Obama. De quoi renforcer l’image déjà so cool du Président américain sur Internet.

Mais la plupart du temps, les techos d’Obama n’ont fait que peu d’incursions sur le terrain. IRL ou sur Internet. D’autres équipes s’occupaient à plein temps de ces champs. Il a fallu travailler avec chacune et ça n’a pas toujours été simple. Loin de là.

Les nerds ont même été à deux doigts de se prendre la porte. Équipes de terrain, politiciens et techniciens ne parvenaient pas à s’entendre, en particulier dans l’étape de réalisation des outils de campagne. Une étape pourtant cruciale. “Alors que l’équipe technique luttait pour traduire en un logiciel utilisable ce que voulaient les gens, la confiance dans l’équipe technique – déjà chancelante – continuait de s’éroder”. Et pourtant, “la campagne a produit exactement ce qu’on attendait d’elle”, conclut le journaliste de The Atlantic :

Une hybridation des désirs de chacun dans l’équipe d’Obama. Ils ont levé des centaines de millions de dollars en ligne, réalisé des progrès sans précédent dans le ciblage des électeurs, et ont tout construit jusqu’à l’infrastructure technique la plus stable de l’histoire des campagnes présidentielles.

Un ingénieur informaticien dans les bras du Président des États-Unis (cc by nc nd)

Low tech

Pour The Atlantic, le cru 2012 de la présidentielle américaine s’est donc bel et bien joué sur Internet. En 2008, commente le magazine, on pataugeait encore dans le “low tech”. “La technique d’une campagne était dominée par des gens qui se souciaient de l’aspect politique de la chose, et non de la technologie de la chose”.

[visu] En 2012, Internet n’existe pas

[visu] En 2012, Internet n’existe pas

Visualiser en un coup d’œil les propositions des candidats sur le numérique. C'est ce que OWNI vous propose en ...

Bien sûr il y avait Facebook, ou Twitter. Mais ils ne représentaient pas grand chose à l’époque. “Ce n’était pas le cœur ou même une annexe de notre stratégie”, confie Teddy Goff, “digital director” des campagnes d’Obama, à The Atlantic.

C’est une nouvelle étape dans l’intégration du Net dans la politique. Qui permet aussi de comprendre, au moins en partie, l’habile appropriation des codes du web par le Président réélu. D’une réinterprétation de mèmes aux sorties sur Twitter ou Instagram, l’équipe de Barack Obama compose avec Internet. L’intègre avec souplesse à sa communication bien huilée, au lieu de le plier aux codes traditionnels du discours politique.

À cent mille lieues de l’expérience made in France. Malgré les sempiternelles promesses d’e-révolution, les campagnes des candidats à la présidentielle n’ont pas brillé par leur fulgurance sur Internet. De l’aveu même de certains, Internet n’était alors qu’un canal de com’ supplémentaire, aux côtés de la télévision, de la presse écrite ou radio.

Il y a bien eu quelques trouvailles, mais elles restent bien maigres face au tableau général : une équipe web recrutée à 100 jours de l’échéance côté Hollande, un panzer en partie externalisé pour Sarkozy. Quelques polémiques aussi, sans oublier l’abandon, sur le fond, des thématiques numériques par les candidats. En France, l’avènement des ingénieurs informaticiens en politique n’est pas pour demain.


Illustration d’Obama par Tsevis [CC-nyncnd] et autoportrait deHarper Reed [CC-nyncnd]

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Autopsie du coeur de la démocratie américaine http://owni.fr/2012/10/31/autopsie-du-coeur-de-la-democratie-americaine/ http://owni.fr/2012/10/31/autopsie-du-coeur-de-la-democratie-americaine/#comments Wed, 31 Oct 2012 12:49:15 +0000 Sylvain Lapoix http://owni.fr/?p=124690

De Georges Washington à la présidentielle de 2012, l'arbre retrace plus de deux siècles d'évolution idéologique et politique des deux chambres du Congrès américain.

En ces temps de tempête dans le crâne de la démocratie américaine, l’histoire du Congrès américain offre une approche d’une précision chirurgicale sur l’évolution depuis 1788 d’un organe politique aux poussées de fièvre chroniques.

Sous la forme de deux réseaux d’artères sinuant entre l’extrême gauche et l’extrême droite, chacun pour une chambre, cette magnifique infographie publiée sur le site xkcd montre continuité et rupture du Sénat et de la Chambre des représentants. Au milieu, guerres et administrations se succèdent, séparant les ventricules. À l’opposé de l’iconographie européenne, les bleus sont ici les démocrates et les républicains figurés en rouge, l’épaisseur de chaque trait étant proportionnée au nombre de parlementaires se revendiquant de chaque mouvance. Quand les branches se rejoignent, c’est qu’une tendance gagne des élus, quand elle tend vers l’extérieur pour s’interrompre, c’est le signe de défection et de l’affaiblissement du mouvement.

Les temps modernes voient presque disparaître le centre droit à la Chambre des représentants, au profit de la vague des Républicains radicaux ralliés aux Tea Party, tandis que les Démocrates n’ont progressé que grâce à leurs recrues les plus centristes.

Séparé par une colonne figurant administrations et principaux conflits ayant marqué l'histoire américaine, l'arbre détaille les grands débats et retournements politiques qui ont accompagné les moments forts de sa vie politique, comme ici le raz de marée centriste chez les démocrates de la Chambre des représentants à la fin des années 1920, qui a porté le New Deal de Roosevelt, ou l'émergence récente du Tea Party chez les Républicains.

Aux curieux et aux béotiens de l’histoire politique US, le graphique permet de plonger plus en amont dans le flot tempétueux du cœur de la démocratie américaine. L’occasion d’apprendre que, contrairement à l’idée qu’on pouvait s’en faire, le New Deal de Roosevelet s’appuyait presque intégralement sur les démocrates centristes, comme le montre la large artère bleue claire qui abonde la gauche de la Chambre des représentants à la fin des années 1920, au moment où les Républicains sont décimés.

De temps à autres, des nervures apparaissent sur les artères démocrates ou républicaines, suivant la carrière des plus vétérans (comme ici Joe Biden, vice-président) comme des plus éphémères élus (comme Barack Obama).

Ici et là, de fines nervures courent le long des artères principales, retraçant les plus longues carrières, comme celles du vice-président et ancien vétéran du Sénat, Joe Biden, et la brève apparition de Barack Obama dans la même chambre. Un flot riche auquel ne manque d’une documentation complémentaire pour offrir une passionnante aventure intérieure dans le système politique américain depuis ses origines.

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Les routeurs de la discorde http://owni.fr/2012/10/11/routeurs-discorde-bockel-zte-huawei/ http://owni.fr/2012/10/11/routeurs-discorde-bockel-zte-huawei/#comments Thu, 11 Oct 2012 12:26:29 +0000 Pierre Alonso http://owni.fr/?p=122318 Car Trail Lights Art – photo CC by-nc-sa Theo van der Sluijs

Car Trail Lights Art – photo CC by-nc-sa Theo van der Sluijs

Les États occidentaux s’agacent de l’emploi de technologies chinoises aux coeurs des réseaux. La France a ouvert le bal en juillet dernier. Le sénateur Jean-Marie Bockel y consacre une partie de son rapport sur la cyberdéfense.

Recommandation n°44, interdire sur le territoire nationale et européen le déploiement et l’utilisation de “routeurs” ou d’équipements de cœur de réseaux qui présentent un risque pour la sécurité nationale, en particulier les “routeurs” ou d’autres équipements informatiques d’origine chinoise.

Washington chinoise sur le cyberespace

Washington chinoise sur le cyberespace

Seuls les services secrets des États-Unis, et un peu d'Europe, auraient le droit de fricoter avec les géants du numérique ...

Le discours est clair. Il lui a été soufflé Outre-Rhin par le ministère de l’intérieur allemand et le BSI, l’équivalent de l’ANSSI française (chargée de la cybersécurité et de la cyberdéfense). Deux constructeurs sont visés : Huawei et ZTE.

L’entremise parlementaire est habile, elle n’engage pas le gouvernement français. Les États-Unis ont rejoint le mouvement cette semaine. Avec la même malice, l’annonce émane de deux parlementaires. Quels sont donc ces grands méchants routeurs qui les effraient tant ?

Échangeur pour paquets

Tout simplement des boites posées à l’endroit où se rencontrent deux ou plusieurs lignes (les points d’interconnexion). Traduisez boîte en anglais (box) et une image apparaîtra tout de suite : celle des chères box internet de chez vous.

Comme pour les box à domicile, les opérateurs utilisent des routeurs, dont la taille diffère certes, mais dont le principe reste le même. “Les routeurs voient passer les paquets de connexion et les transmettent” explique l’ingénieur Stéphane Bortzmeyer de l’Afnic, l’association qui gère les noms de domaine dont le .fr. Un échangeur en quelque sorte. Les données arrivent et sont redistribuées vers différentes routes en fonction de l’encombrement du trafic sur chacune.

Comme sur le routeur mécanique ci-dessous :

Mechanical router – photo CC by Joi Ito

Mechanical router – photo CC by Joi Ito

Des points clefs pour le bon fonctionnement d’Internet donc. En 2008, une erreur de routage de Pakistan Telecom avait tout simplement rendu YouTube inaccessible… dans le monde entier. Pour empêcher l’accès au site de partage de vidéos, les routeurs devaient renvoyer les connexions vers une destination inconnue, “un trou noir”. Les paquets (la bille sur la photo ci-dessus) n’étaient plus dirigés vers un tuyau, mais vers une impasse ou un trou. Problème : le fournisseur d’accès de Pakistan Telecom à Hong Kong a suivi la même règle de routage et ainsi de suite.

“Les routeurs sont un peu partout, dans les points d’interconnexion et dans les réseaux”, confirme Stéphane Bortzmeyer :

Il ressemble à des sortes de grands distributeurs de boissons (en fonction de leur importance).

Selon “la petite enquête informelle” de Jean-Marie Bockel, aucun opérateur français n’utilise d’équipements chinois pour les cœurs de réseau. A l’instar de France Telecom qui en a installé sur sa chaîne, mais qui préférerait des produits Alcatel-Lucent (le géant franco-américain) pour les points les plus sensibles.

Stéphane Bortzmeyer est sceptique. “Personne n’a intérêt à dire qu’il utilise les produits chinois, les moins chers du marché. Mieux vaut se prévaloir de Juniper ou Cisco”. Le hard discount contre l’épicerie fine en somme. Que se passe-t-il donc dans ses routeurs de coeurs de réseau qui affolent tant les autorités ?

Technologie duale

Le rapport Bockel pointe le risque “[qu’un] un dispositif de surveillance, d’interception, voire un système permettant d’interrompre à tout moment l’ensemble des flux de communication” soit discrètement placé à l’intérieur. Vu la quantité de données qui transitent par ces péages et la vitesse à la laquelle elles transitent, leur stockage paraît peu probable à Stéphane Bortzmeyer. “Il est possible de les dériver vers une autre ligne” explique-t-il. Avant de blâmer l’opacité qui entoure les routeurs, tant chinois que français et américains :

Aucun audit n’est possible. C’est l’archétype de la vieille informatique. Comme pour les serveurs, il faudrait utiliser uniquement du libre qu’on puisse “ouvrir”.

Que Huawei se vante de faire du Deep Packet Inspection – comme le note Jean-Marie Bockel dans son rapport (page 119) – cette technologie duale qui permet tant de mesurer la qualité du réseau que de l’interception, ne suffit pas à jeter opprobre sur le géant chinois. Stéphane Bortzmeyer rappelle au passage les performances françaises en la matière, qui portent entre autres les noms d’Amesys ou Qosmos.


Car Trail Lights Art – photo CC [by-nc-sa] Theo van der Sluijs ; Mechanical router – photo CC by Joi Ito.

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Les emplois au pifomètre du gaz de schiste http://owni.fr/2012/10/08/les-emplois-au-pifometre-du-gaz-de-schiste/ http://owni.fr/2012/10/08/les-emplois-au-pifometre-du-gaz-de-schiste/#comments Mon, 08 Oct 2012 14:02:09 +0000 Sylvain Lapoix http://owni.fr/?p=121895

Voici deux mois qu’industriels et éditorialistes défendent le gaz de schiste à l’aide de promesses d’emplois complètement fantaisistes. Le “gisement de 100 000 emplois” que représenterait l’exploitation de ces hydrocarbures profonds est le deuxième argument favori (après l’indépendance énergétique) pour balayer d’un revers de calculatrice les risques environnementaux et sanitaires des méthodes brutales d’extraction qu’elle nécessite (la fracturation hydraulique). Mais si les réserves ont été évaluées à l’aide de méthodes et de données géologiques professionnelles, le potentiel social de cette industrie l’a été avec un outil mathématique de niveau CM2.

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Prédire l’avenir avec une règle de trois

L’évaluation la plus populaire sous nos climats éditoriaux est l’œuvre d’un rapport livré par la société Sia conseil. Cabinet de consulting en management, Sia compte parmi ses plus gros clients GDF Suez, partenaire de Schuepbach LLC sur deux permis d’exploration pour les gaz de schiste en France et leader du secteur. Son logo apparaît par ailleurs discrètement en pied de page de Gas in focus, “Observatoire du gaz naturel” autoproclamé, coédité par GRT Gaz, filiale à 75% du géant français des bonbonnes de propane.

Pour arriver à un bénéfice de 100 000 emplois directs et indirects grâce aux gaz de schiste, la société part d’un calcul savant portant sur les trois principaux permis du Sud de la France :

Le nombre de forages par concession ne peut pas excéder 30 forages de puits par an. Pour mémoire, aux Etats-Unis, certaines zones comportent plusieurs milliers de puits. Après avoir déterminé le profil de production d’un puits type, nous avons ensuite appliqué les niveaux d’emploi observés aux Etats-Unis sur les deux périodes de vie d’un puits : sur les trois premières années (forage), 13 personnes par puits sont nécessaires ; sur les vingt années suivantes (exploitation), il suffit de 0,18 personnes par puits. Les emplois indirects et induits représentent 1,52 emploi par puits. Nous avons retraité cette moyenne américaine des horaires de travail en France (2 080 heures annuelles aux Etats-Unis contre 1 650 en France, soit un facteur de 1,26).

Conclusion : la totalité des trois concessions représenterait un potentiel de 10 000 emplois à l’horizon 2010. Jusque là, l’analyse est fine et, sinon incontestable, efficacement argumentée.

Quand soudain, peut-être usés par la quantité de statistiques sociales brassées pour savoir combien de foreurs iraient percer le plateau du Larzac, les experts de Sia rangent leurs tableaux Excel et dégainent leur Casio :

Généralisées à la totalité des ressources françaises, ces exploitations créeraient 100 000 emplois d’ici 2020 dont 40 000 emplois industriels directs, dans une hypothèse maintenant les conditions d’exploitation retenues.

Le calcul n’est pas précisé mais nous avons pu reconstituer la formule ayant permis cette conclusion :

10% x Gaz de schiste en France = 10 000 emplois
Gaz de schiste en France = 10 000 emplois x 1/10% = 100 000 emplois

En d’autres termes, les experts de Sia conseil (jugeant que toutes les extractions de gaz de schiste sont les mêmes) se targuent de prédire l’avenir avec une règle de trois.

Fact checking

Si elle peut sembler “de bon sens”, cette idée selon laquelle “un puits est un puits” est techniquement fausse : piégé dans les roches de schiste, le gaz du même nom peut se trouver en fines couches entre 2 000 et 3 500 mètres de profondeur selon les bassins. Difficile d’imaginer qu’avec plusieurs centaines de mètres de différence, il faille autant de temps et de personnel pour forer à ces différents niveaux, selon qu’on soit en Languedoc ou en Lorraine. Et pour cause.

L’argument selon lequel les gisements seraient tous pareils sur le plan de l’emploi ne survit pas longtemps à l’analyse de l’exploitation effective des gaz de schiste aux Etats-Unis. Si la règle de trois employée par Sia conseil était juste et puisqu’elle se base sur les emplois nécessaires pour exploiter les ressources, le nombre d’emplois créés devrait être proportionnel à la production de chaque Etat.

En croisant les chiffres de production de l’Agence d’information sur l’énergie américaine et les calculs d’emplois par Etat de l’institut IHS, il apparaît clairement que les deux chiffres sont totalement décorrélés : avec deux fois moins de production, la Pennsylvanie revendiquait en 2010 près de deux fois plus d’emplois que l’Arkansas. Les deux Etats affichent cependant un bénéfice social combiné inférieur au Colorado… qui a extrait mille fois moins de gaz de schiste qu’eux en 2010 !

Autrement dit, la règle de trois s’avère un outil plutôt difficile à appliquer à une industrie dépendante d’une somme de facteurs aussi large que l’énergie.

Cela n’a cependant pas empêché cette estimation de se répandre comme une traînée de poudre, ni d’autres du même calibre mathématique. Le groupement patronal britannique Institute of Directors a ainsi fait sensation le 21 septembre en annonçant un potentiel de 35 000 emplois dans l’exploration-production des gaz de schiste. Le rapport Britain’s shale gas potential sur lequel repose ce coup de com’ expose cependant clairement sa méthode pour arriver à ce chiffre à partir d’une estimation d’une hausse de 8 % de la production grâce à ces hydrocarbures :

L’industrie gazière et pétrolière britannique assure directement et indirectement l’emploi de 440 000 personnes. En supposant que l’emploi soit directement proportionnel à la production, alors une hausse de 8 % de la production de 2011 générerait un gain de 35 000 emplois, aidant à contrecarrer les pertes liées au déclin de la production conventionnelle de pétrole et de gaz au Royaume-Uni.

Ce postulat du “tous pareils” est également à l’origine de deux estimations du think tank Iref Europe. L’auteur de l’article, qui présente un potentiel de 42 000 à 62 000 emplois, a cependant l’honnêteté de reconnaître “les limitations statistiques” de la règle de trois.

Promesses

Avant la mise en exploitation des grands gisements du Nord-Est et du Sud des Etats-Unis, des promesses d’emplois toutes aussi alléchantes avaient été formulées par les industriels. En mai 2011, un rapport était repris par le quotidien Patriot News estimant à 48 000 emplois le nombre d’embauches réalisées en 2010 grâce au développement des gaz de schiste en Pennsylvanie. Signé par le département Travail et Industrie de l’Etat, le document semblait au dessous de tout soupçon.

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A ceci prêt que le terme d’embauche n’est pas synonyme de “création d’emploi“, une nuance relevée par l’institut Keystone, dans le même rapport ! Les “embauches” remplacent en effet parfois des départs en retraite, des licenciements ou des démissions, sans augmenter le nombre total d’emplois pourvus dans la zone. Le bénéfice “réel” pour l’emploi serait en fait de 10 000 personnes sur trois ans (2008 à 2010), ce qui pèse pour moins de 10% de la hausse de l’emploi industriel dans l’Etat, selon la même source.

Avec plus de 24 000 emplois directs au 2e trimestre 2012 dans les industries extractives, la France dispose déjà de professionnels dans les différents corps de métier nécessaires au développement des gaz de schiste. Comme pour la Guyane, de nombreuses opérations de prospection sismique ou de forage mobilisent pendant un temps limité des équipes de spécialistes qui repartent aussitôt le travail fini avec leur coûteux matériel, sans créer d’autre richesse sur le territoire que celle liée à leurs besoins quotidiens.

De quoi sauver une filière, peut-être. Mais pas de quoi s’attendre à un autre boom que celui qui fait trembler le sous-sol lors de la fracturation hydraulique.


Photo par Arimoore [CC-by-nc-sa] via Flickr

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Obama : “J’ai réfléchi, on y va” http://owni.fr/2012/09/05/obama-ben-laden-peter-bergen/ http://owni.fr/2012/09/05/obama-ben-laden-peter-bergen/#comments Wed, 05 Sep 2012 07:55:21 +0000 Pierre Alonso http://owni.fr/?p=119447 Le Monde publie des extraits ce mercredi. Owni a plongé dans la fameuse Situation Room, illustrée des pensées des protagonistes.]]> Les visages fermés et les yeux rivés sur un écran hors champ, la Situation Room attend. L’équipe très restreinte réunie autour du président Barack Obama suit en direct le raid fatal à Oussama Ben Laden, mené par les Navy SEALs (commandos marines) de la Team 6.

A quoi pensent les protagonistes de la célèbre photo diffusée par la Maison Blanche ? Comment Barack Obama a-t-il pris sa décision ? Peter Bergen, journaliste spécialiste de la sécurité nationale pour CNN, le raconte dans “Chasse à l’homme. Du 11 septembre à Abbottabad, l’incroyable traque de Ben Laden” (Robert Laffont) dont Le Monde daté du 5 septembre publie des extraits.

[Survolez la photographie ci-dessus pour faire apparaître les pictos rouges pour les opposants au raid, verts pour ceux qui soutenaient l'idée. Cliquez dessus pour en savoir plus]

“N’y allez pas”

Aucun consensus ne se dégage dans l’entourage du président démocrate jusqu’aux derniers jours. Peter Bergen raconte en détails une réunion, le 28 avril, alors que de nouvelles informations renforcent le doute quant à la présence de Ben Laden dans le complexe d’Abbottabad. Trois positions se dégagent alors : ceux qui sont pour, ceux qui sont contre et ceux qui privilégient une frappe de drone.

Parmi les opposants au raid figure Joe Biden, le vice-président, pour qui l’incertitude est trop grande pour prendre le risque de perdre l’allié pakistanais. Il tranche, rapporte le journaliste :

Mon conseil, le voici : n’y allez pas.

Un autre personnage central s’oppose au raid : Robert Gates, le secrétaire à la Défense. Lui plaide pour “une option de type frappe chirurgicale” menée par un drone. Il est rejoint par le général Cartwright, le chef d’Etat-major adjoint des armées, et par le directeur national du contre-terrorisme, Mike Leiter.

“Ce raid, lancez-le”

Une écrasante majorité des conseillers soutiennent un raid des Navy SEALs. Notamment Hillary Clinton, la secrétaire d’Etat, qui à l’issue d’un exposé technique et dépassionné lance :

Le résultat est très imprévisible, mais je dirais : Allez-y. Ce raid, lancez-le.

Ou encore un autre poids lourd de la lutte contre le terrorisme, le directeur de la CIA, Leon Panetta, qui estime que le fait de détenir “le meilleur faisceau de preuves depuis Tora Bora [les] met dans l’obligation d’agir”. Il est, entre autres, rejoint par John Brennan, assistant du président pour la sécurité intérieure et le contre-terrorisme, et le directeur du Renseignement national, Jim Clapper. Lucide, mais déterminé :

C’est le choix qui présente le plus de risques, mais à mon avis, le plus important, c’est que nous disposons d’yeux, d’oreilles et de cerveaux sur le terrain.

Le jour même, Barack Obama refuse de trancher. Il convoque à nouveau ses conseillers le lendemain, le 29 avril à 8h20, pour annoncer sa décision :

J’ai réfléchi : on y va. Et la seule chose qui nous en empêcherait, ce serait que Bill McRaven [le général à la tête du Joint Special Operation Command, NDLR] et ses gars considèrent que la météo ou les conditions au sol accroissent les risques pour nos forces.


Photographie Flickr White House / Pete Souza

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La campagne des commandos américains http://owni.fr/2012/08/28/secret-commandos-americains-campagne-obama-navy-seal/ http://owni.fr/2012/08/28/secret-commandos-americains-campagne-obama-navy-seal/#comments Tue, 28 Aug 2012 12:03:52 +0000 Pierre Alonso http://owni.fr/?p=118834 "devrait fermer sa gueule" assènent-ils. Un autre commando publiera prochainement son récit du raid contre Ben Laden. Ces troupes habituées à la discrétion entrent en campagne, placée sous le signe des vraies et des fausses fuites. ]]>

Entrainement des Navy Seals (2010) (cc)

D’ordinaire, ils sont connus pour leur discrétion. Les commandos marine américains des Navy SEALs sont aujourd’hui sous le feu des projecteurs. Obama en a fait le pivot de sa guerre contre le terrorisme. Contrairement à son prédécesseur, le président démocrate a tout fait pour accélérer le retrait des troupes engagées dans de vastes opérations extérieures. Il a préféré les frappes de drones menées clandestinement par la CIA et les actions ciblées de ses troupes d’élite. Ainsi fut exécuté par les Navy SEALs le raid victorieux contre Oussama Ben Laden, le 2 mai 2011.

À trois mois de l’élection présidentielle, voilà que la clé de voûte de la lutte contre le terrorisme est ébranlée. Tous les ingrédients sont réunis. Prises de parole incontrôlées des commandos, répliques du commandement, provocation d’Al-Qaïda. Le tout créant un étonnant brouhaha de campagne, ouvertement alimenté par les Républicains et discrètement nourri par les adeptes des Tea Party.

“Indignes révélations”

L’élection présidentielle du 6 novembre approchant, les épisodes se multiplient. Le mois d’août en a connu deux, et non des moindres. Une vidéo de 20 minutes est mise en ligne le 13 août, Dishonorable disclosures (“Indignes révélations”), par l’association de vétérans OpSec, pour Operational Security. Présenté comme non-partisan, le vrai-faux documentaire met gravement Obama en accusation : par ses révélations directes (annonce du raid contre Ben Laden) et indirectes supposées sur Stuxnet et le programme clandestin de frappes de drones (Kill List), il aurait mis en danger la vie de forces spéciales, et la sécurité nationale américaine.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Les révélations sur le programme Olympic Games, qui a donné naissance aux logiciels malveillants Stuxnet et Flame, et sur la Kill List sont parues début juin dans le New York Times. Pour les auteurs, Obama a organisé les fuites, sans aucun doute : “L’administation a fait volontairement fuiter l’existence de Stuxnet, permettant ainsi à l’ennemi d’en savoir plus sur nos opérations et nos secrets.” Aucune des personnes interrogées – agents de la CIA en retraite, anciens des forces spéciales et même un général – ne pardonne à Obama d’avoir ainsi sacrifié ces victoires militaires sur l’autel de sa réussite politique. De concert, ils assènent, à l’instar du Général Paul Vellely :

Avec tout le respect qui vous est dû, Monsieur le Président, nous avons besoin que vous gardiez vos lèvres closes et que vous la fermiez quand il s’agit “d’operational security”. Comme disent les SEALs, nous agissons, nous ne parlons pas.

La vidéo, léchée sur la forme, rappelle de plus anciens griefs. La réalisatrice Kathryn Bigelow a eu accès à des documents classifiés pour sa fiction retraçant la traque de Ben Laden. Un film annoncé en salles après l’élection du 6 novembre.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

OpSec ne survole pas autant les clivages politiques qu’il le prétend. Selon le New York Times, le groupe partage les mêmes locaux qu’une entreprise de consulting républicaine, le Trailblazer Group à Alexandria, en Virginie. Le porte-parole des SEALs effarouchés d’OpSec n’est autre que Chad Kolton, ancien de l’équipe contre-terrorisme de Bush, qui a invoqué des dispositions légales pour ne pas révéler les sources de financement du groupe. Quant aux participants, certains sont très marqués politiquement. Ainsi de Benjamin “Ben” Smith, figure connue du mouvement des Tea Party, qui n’a pas de mot assez dur – ni d’expression assez théâtrale – contre Obama : “Monsieur le Président, vous n’avez pas tué Oussama Ben Laden, l’Amérique l’a fait.”

Servir le Président

La prise de parole impromptue d’officiers n’a pas été du goût du commandement. Dans un courrier adressé à ses troupes que s’est procuré Foreign Policy, l’amiral à la tête du Special Operation Command (Socom), William McRaven bat le rappel.

Je suis inquiet par cette tendance grandissante à utiliser la marque des opérations spéciales, les SEALs, symboles et noms, dans des campagnes politiques ou visant des intérêts spécifiques. [Le Special Operation Command] ne soutient aucun point de vue politique, aucune opinion ou intérêt spécifique. Notre promesse au peuple américain en tant que militaire est d’être non-partisan, apolitique et de servir le Président des États-Unis sans égard pour son parti politique.

L’amiral a lui-même été l’objet de critiques après avoir accordé fin juillet une interview à CNN dans laquelle il évoquait l’opération contre Ben Laden. Il avait rendu un hommage appuyé à Obama et à son équipe, “qui avaient agi de façon formidable du début à la fin”.

Un Navy SEAL a cru bon de raconter lui aussi le raid contre Ben Laden. En détails. Sur CNN, l’amiral McRaven s’autocensurait autant que faire ce pouvait, déclenchant les rires du public. Le membre de la Team 6 qui a participé au raid contre Ben Laden va lui publier son témoignage in extenso, le 11 septembre. “No Easy Day: The Firsthand Account of the Mission That Killed Osama bin Laden” (“Rien n’est facile : le compte-rendu de première main de la mission qui a tué Oussama Ben Laden”) est écrit sous pseudo, Mark Owen, et les noms des protagonistes ont été modifiés. Sans grand succès. Quelques jours après l’annonce de sa sortie, Fox News publie le véritable nom de l’auteur, Matt Bissonnette selon “plusieurs sources” de la chaine d’information proche des conservateurs.

Les réactions de Navy SEALs, anonymes, ne sont pas tendres à l’égard de celui que certains appellent “un traitre”. Le porte-parole du Socom, le colonel Tim Nye, a dit ses inquiétudes à Fox News : “[il] s’est mis en danger tout seul”. Il a fallu deux jours. Un site officiel d’Al Qaida a publié vendredi une photographie de Matt Bissonnette avec son nom et cette légende :

Le chien qui a tué le cheikh martyr Oussama Ben Laden.

L’auteur du livre pourrait aussi être poursuivi, comme l’a indiqué le porte-parole de la Navy : “Tout membre du service qui révèle des informations classifiées ou sensibles peut être poursuivi. Cette disposition ne prend pas fin après le départ du service.” D’autant que l’administration Obama est plus que familière des poursuites contre les bavards, lanceurs d’alerte ou whistleblower en langue originale. Six fonctionnaires ont été poursuivis pendant son mandat placé du début à la fin sous le signe des fuites (“leaks”) subies, orchestrées ou combattues. Dès juin, le procureur général avait demandé qu’une enquête soit ouverte contre OpSec.


Photo via la galerie de HonorableGerman [CC-by]

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Detroit redémarre en mode DIY http://owni.fr/2012/07/26/detroit-redemarre-en-mode-diy/ http://owni.fr/2012/07/26/detroit-redemarre-en-mode-diy/#comments Thu, 26 Jul 2012 10:46:58 +0000 Ophelia Noor http://owni.fr/?p=116694

Detroit n’est pas la ville des rêves, c’est la ville des réalités. – Grace Lee Boggs, 96 ans, activiste et habitante de Detroit

Imagination Station (à droite) fait face à la Michigan Central Station (à gauche), géante gare abandonnée, symbole du déclin de Détroit. Imagination Station est également une maison abandonnée, et donnera lieu à un projet de logement d'ici quelques années. Pour l'heure, les "doers" du quartier l'ont bariolé de fresques. ©Nora Mandray/detroitjetaime.com

Déclarée plusieurs fois en faillite depuis 2011, Detroit est une ville à l’abandon, vidée de sa population, de la plupart de ses commerces et entreprises. Après la période glorieuse du fordisme et de la production automobile, puis les ravages de la désindustrialisation dès les années soixante, les habitants dépendent aujourd’hui de leur propre ingéniosité pour subvenir à leurs besoins. Un renouveau qui préfigure peut-être la société de demain : une économie locale post-industrielle basée sur la bidouille et le partage.

Dans leur webdocumentaire Detroit Je T’aime, les journalistes françaises Nora Mandray et Hélène Bienvenu, s’intéressent aux bouleversements du monde post-industriel et post-communiste.  Elles nous montrent comment les citoyens reprennent en main leur mode de vie,  leur manière de consommer et de renouer des liens sociaux dans un espace post-productiviste.

Comment est construit votre webdocumentaire ?

Nora Mandray : Detroit je t’aime a pour base trois courts-métrages documentaires à la narration linéaire, d’environ 20 minutes chacun : trois histoires de débrouille imbriquées les unes dans les autres entre un groupe de filles mécano, un fermier urbain et un hacker. Au cours de chacun de ces films, une “boîte à outils DIY” [ndlr : Do It Yourself : Fais-le toi-même] apparaîtra pour suggérer aux spectateurs de démarrer leurs propres initiatives. Les internautes pourront, au fil des histoires, partager sur les réseaux sociaux des citations tirées du film ou bien des projets à faire eux-mêmes avec leurs amis.

Hélène Bienvenu : Nous ne voulons pas tomber dans le travers du catalogue d’histoires, ce vers quoi le webdocumentaire a tendance à tirer parfois, d’où l’idée de se concentrer sur trois personnages forts et le recours au mode linéaire. On pense que notre blog, développé en parallèle à Detroit je t’aime, continuera d’exister à travers nos spectateurs. L’ objectif c’est d’engager un dialogue entre les communautés.

Nora Mandray : Une fois le webdocumentaire terminé, nous aimerions aussi développer une application pour mobiles, où il serait possible de retrouver les projets DIY présentés dans le documentaire. Et puis, à plus long-terme, Detroit change si vite qu’on pense déjà y retourner dans cinq ou dix ans pour retrouver les Detroiters et voir ce qu’ils seront devenus.

En quoi les trois personnages choisis pour raconter l’histoire de Detroit sont-ils représentatifs du changement de cette ville, et par extension de nos sociétés, vers une nouvelle économie basée sur le partage et le DIY (Do it Yourself) ?

Nora Mandray : Nos trois personnages représentent des besoins inhérents à toute société : se nourrir, se déplacer, apprendre et communiquer. En plus d’apporter une réponse matérielle, nos protagonistes ré-imaginent le Detroit post-industriel pour poser des bases plus saines : respect de l’environnement, justice alimentaire, open-source, réflexion sur la question de la race, le vivre-ensemble. Jeremy, le fermier urbain (urban farmer) plante avant tout pour sa communauté, son “potager” n’est pas grillagé. De même que le Mount Elliott makerspace de Jeff Sturges ou l’atelier vélo Fender Bender de Sarah Sidelko, ouverts à tous.

Hélène Bienvenu : La société du partage revêt de multiples facettes, et toutes ne sont pas nécessairement représentées à Detroit, par exemple le co-voiturage existe encore très peu. Mais Detroit est une ville où l’on débat. Un mot revient sans cesse : “justice”.

Nora Mandray : Social justice, food justice, environmental, racial… Le mot se décline à l’infini et nous semble représentatif du tournant que vit la ville. C’est un signal fort que Detroit en revienne à l’artisanat et à un système de production local. Le travail à la chaîne est né ici et s’est répandu dans le monde entier. En période d’austérité, on en revient à des valeurs partagées par tous, à des éléments concrets autour desquels la communauté se rassemble et se reconstruit.

Sarah a mené le premier atelier mécano de Fender Bender. Kezia et Doc ont appris à réparer un vélo en six leçons. ©Nora Mandray/detroitjetaime.com

Les personnes que vous avez rencontrées continuent-elles, malgré tout, à consommer dans les grands circuits de distribution traditionnels ? Pouvons-nous observer comme en Espagne ou en Grèce la création de monnaies locales ou une réflexion sur une sortie du système monétaire actuel ?

Hélène Bienvenu : Parce que le taux de chômage est très élevé [plus de 50%, NDLR] et que Detroit est une ville pauvre, les boutiques de la Salvation Army (Armée du salut)  et les “1$ stores” pullulent. Les Detroiters pratiquent naturellement l’échange de services. Récemment de nouvelles Time Banks [équivalent du SEL, Système d'Échange Local, NDLR] ont commencé à organiser cette économie alternative, bien que formellement il n’existe pas de véritable “monnaie alternative” à notre connaissance.

Nora Mandray : La sortie du système monétaire actuel est une idée qui traverse le discours des activistes locaux, notamment ceux qui ont organisé le US Social forum à Detroit en 2010. Parmi les “anciens” Detroiters comme les nouveaux arrivants, il y a un désir de changement. Le credo des activistes du coin est d’ailleurs “be the change you want to see in the world”. Cela implique par exemple de se déplacer à vélo dans une culture centrée sur l’automobile.

Hélène Bienvenu : Detroit est en train de vivre un débat de grande intensité autour de l’ouverture d’un Whole Foods [ supermarché bio, NDLR] en centre-ville. Ceux qui ont fait le choix d’une vie alternative, voient en Whole Foods, un des symptômes de la gentrification et l’exploitation habile de toute l’énergie que les Detroiters ont mis à bâtir un système alternatif de production locale. Whole Foods a promis de favoriser l’économie locale mais jusqu’à quel point ?

Brightmoor a une mauvaise réputation, quartier ouvrier miné par le chômage, la drogue et le crime dans les années 80 et 90, il connaît aujourd'hui une renaissance grâce aux initiatives d'agriculture urbaine comme celle de Jeremy Kenward qui cultive salades et légumes dans son grand potager. Son point fort, c'est la permaculture : une manière de cultiver durable. ©Nora Mandray/detroitjetaime.com

Comment sont perçus ces nouveaux champs d’actions par “les autres” : les habitants qui ne participent pas, les habitants qui sont de l’autre côté du 8 mile, l’autoroute qui partage la ville en deux ?

Hélène Bienvenu : Les frontières entre Detroit et ses banlieues, voire au sein de ses différents quartiers, restent très marquées. Pour schématiser, il y a trois types de réactions sur Detroit au-delà de 8 mile : les nostalgiques de l’âge d’or, avec ses théâtres fantastiques aujourd’hui en ruines ou ses grands magasins de Downtown abandonnés ou détruits ; ceux qui voient de manière positive le renouveau de la ville, plutôt du côté des jeunes et moins jeunes qui sont revenus s’installer ; enfin ceux qui ont une opinion négative ont quitté la ville depuis longtemps et n’y remettent jamais plus les pieds.

Nora Mandray : Ces derniers sont évidemment les premiers à critiquer Detroit, qu’ils voient comme un dangereux ghetto, qui ne s’en sortira jamais. L’agriculture urbaine est vue comme un palliatif qui ne peut pas mener très loin, dans un environnement ultra-pollué. Bien sûr, certains des points que ces détracteurs soulèvent sont légitimes – mais il n’y a pas de dialogue entre ces “camps”.

Au Mt. Elliott Makerspace, les enfants apprennent à fabriquer leurs propres circuits électroniques. ©Nora Mandray/detroitjetaime.com

Dans cette ville immense et à l’abandon, on a du mal a imaginer depuis la France, l’absence des pouvoirs et des services publics. Les habitants sont-ils à ce point livrés à eux-mêmes ? Quel est l’état des lieux de Detroit ?

Nora Mandray : D’abord, nous sommes aux Etats-Unis où la notion de service public n’a rien à voir avec la nôtre. Et pour ne rien arranger, Detroit a été minée par la corruption politique des années 60 aux années 90. Quand l’industrie automobile a commencé à délocaliser, les pires choix ont été fait par le gouvernement local. Résultat, Detroit est restée pendant longtemps une ville à l’abandon. Elle l’est toujours, dans la majeure partie de la ville. Des quartiers entiers sont plongés dans l’obscurité la nuit, parce que la marie n’a pas les moyens d’entretenir les lampadaires et personne ne vient les réparer !

Hélène Bienvenu : La police et les pompiers tournent à effectif réduit. Les transports publics sont un autre bon exemple. Dans les années 50, il existait encore un système de trolleybus mais il a fini par être démantelé, sous l’effet  des lobbies des trois grands constructeurs automobiles General Motors, Chrysler et Ford, dit-on. Aujourd’hui, seul le bus fonctionne mais de manière très aléatoire.

Detroit compte aujourd'hui 700 000 habitants contre 2 millions d'habitants en 1950. Cette carte comparative (superficie et population) est basée sur les travaux de Dan Pitera, professeur d'architecture et design à l'université de Detroit Mercy.

Nora Mandray : Une compagnie de bus privée est en train de se met en place à Detroit, initiée par un jeune des “suburbs” [ banlieues, NDLR] et destinée aux nouveaux arrivants. Le hic, c’est que pour le moment, cette compagnie ne dessert que les coins sympas que fréquente son public (jeune et majoritairement blanc). Les tarifs ne sont pas abordables pour un public qui dépend du bus pour circuler à l’intérieur de la ville. Cela pose clairement des problèmes de ségrégation déguisée au 21ème siècle.

Hélène Bienvenu : Depuis le déclin de Detroit, les résidents ne cessent de développer des solutions. La ville de Detroit n’organise pas de recyclage ? Qu’à cela ne tienne, un type a eu l’idée d’ouvrir un centre de tri ultra pointu, qui en plus d’être un des lieux les plus “cosmopolites” de Detroit, est devenu un lieu de prédilection pour les fans de street art.

Pensez-vous que Detroit puisse servir de modèle ailleurs ? Je pense par exemple à la fermeture de l’usine PSA d’Aulnay-sous-bois en France et à l’opposé, aux projets de villes en transition ou encore à l’implantation de fab labs ?

Hélène Bienvenu : Detroit ne fait pas partie du mouvement officiel des transition towns mais nos personnages s’inscrivent très clairement dans cette mouvance là. Pour ce qui est d’Aulnay-sous-bois, on ne peut s’empêcher de penser à Detroit qui a vécu tout ça bien avant et de manière plus brutale. Mais c’est un signe que les temps changent. Agir de manière préventive, s’aménager de nouvelles portes de sortie, et revenir à ce qui est essentiel au fonctionnement d’une communauté.

Nora Mandray : Paradoxalement, Detroit vit un véritable tournant car pour la première fois depuis des décennies, la ville est de nouveau attractive. Il y a un glissement du discours : de la ville ghetto au nouveau Berlin. Les jeunes commencent à affluer dans le sens inverse à ceux de leur parents ou grands-parents qui avaient fuit Detroit pour les banlieues. Les personnes dont nous parlons dans notre documentaire se méfient de la gentrification qui pointe aujourd’hui le bout de son nez dans ces quartiers en plein essor. Cela dit, si on voit des cafés cossus ouvrir, la plupart ont recours au compost et utilisent des produits issus des fermes de la ville, signe que nous avons déjà franchi un cap.


Vous pouvez participez à la deuxième partie du tournage qui aura lieu à la fin de l’été en soutenant Detroit Je t’aime sur la plateforme d’appels à dons Kickstarter.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Pour voir le portfolio c’est ici. Photographies par Nora Mandray ©/Detroitjetaime

Detroit je t’aime, un webdocumentaire d’Hélène Bienvenu et Nora Mandray à soutenir sur Kickstarter.

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Internet par la racine http://owni.fr/2012/07/05/internet-par-la-racine/ http://owni.fr/2012/07/05/internet-par-la-racine/#comments Thu, 05 Jul 2012 14:33:30 +0000 Andréa Fradin http://owni.fr/?p=115344 Au commencement, il y avait la “racine”. Quiconque tente de percer à jour le fonctionnement d’Internet se retrouve nez-à-nez avec ce drôle de précepte. Sans bien en cerner le sens. Ainsi, votre serviteur, qui face à des articles titrant sur “la racine d’Internet divise les autorités américaines”, “la Chine veut sa propre racine Internet”, est restée circonspecte : c’est quoi ce bulbe magique générateur de réseau ? Et pourquoi tout le monde s’agite pour le contrôler ? Jardinage réticulaire avec quelques experts du Net.

Dommage, la racine n'est pas un gros modem caché sous la Silicon Valley (South Park, "Over Logging", saison 12 épisode 6)

Le bulbe magique

Premier apprentissage : la racine du net n’est pas un oignon. Ni un modem géant caché au fin fond de la Silicon Valley par le gouvernement américain. Cruelle désillusion pour tous les fans de South Park, la réalité est autrement plus prosaïque : la racine est avant tout un fichier. L’un des pères d’Internet en France, Louis Pouzin, nous explique :

C’est un fichier de données. On peut le voir sur écran ou l’imprimer.

Et de poursuivre : “c’est la table des matières des annuaires de TLD”.

C’est là que ça se corse : les TLD, ou “top level domains” (“domaines de premier niveau”) sont tous les “.quelquechose” : .com, .net, .info ou, pour les pays, en .fr, .uk, etc. On compte aujourd’hui plus de 300 extensions. Tous les sites Internet sont regroupés dans un annuaire qui porte le nom de leur extension : “par exemple, l’annuaire .com explique Louis Pouzin. Il existe donc autant d’annuaires que de TLD.”

Et la racine dans tout ça ? Elle a en mémoire la liste de tous les TLD et s’occupe de pointer vers les différents annuaires. “C’est un système d’aiguillage”, ajoute Stéphane Bortzmeyer, ingénieur à l’Afnic, l’organisme qui gère notamment le .fr. “Quand on lui demande un accès au site owni.fr, elle renvoie à l’Afnic qui gère le .fr” Et ainsi de suite pour les sites du monde entier : la racine est la conseillère d’orientation du Net.

La racine est morte, vive Internet !

Évidemment, le fichier seul ne peut pas s’exécuter comme ça, à l’aide de ses petits bras. Parler de racine, c’est aussi parler de “serveurs racine”. Des machines disséminées dans le monde entier et sur lesquelles est copié le fameux bottin de l’Internet. On parle souvent de 13 serveurs racine, mais la réalité est plus complexe. Selon Stéphane Borztmeyer : “il y a une centaine de sites physiques qui gèrent les serveurs racine.”

Concrètement, ces serveurs ne ressemblent pas à des bunkers ultra-sécurisés. A la manière de datacenters classiques, “il s’agit simplement de matériel encastré dans des racks [NDLA : sorte de casiers à matériel informatique]“, poursuit l’ingénieur de l’Afnic. La sécurité physique n’est pas le problème.” Le souci est plus au niveau logiciel. Et encore : si la racine venait à disparaître de la surface de la Terre, aucun cataclysme dévastateur n’en résulterait. Ni coupure nette, ni blackout, ni tsunami vengeur, rien, tout juste quelques défaillances !

“Il y aurait une perte de fonctionnalité, mais ce ne serait ni soudain, ni total ni catastrophique”, explique l’universitaire américain Milton Mueller, l’un des premiers à s’être intéressé à la racine et ses implications géopolitiques, dans son livre Ruling the root. “Le réseau se dégraderait petit à petit mais on peut y survivre” confirme Stéphane Bortzmeyer. Un anti-scénario catastrophe rendu possible par certains serveurs, les “serveurs de nom”, et leur capacité à retenir les indications données par la racine, explique Louis Pouzin :

Il existe des milliers de copies de la racine stockées dans des serveurs de noms et des ordinateurs d’utilisateurs. L’Internet pourrait continuer à fonctionner au moins une semaine, ce qui donne le temps de s’organiser pour réparer l’incident.

Ces serveurs de noms, que l’on retrouve par exemple chez les fournisseurs d’accès à Internet (Orange, Free et compagnie), ne demandent que rarement leur route aux serveurs de la racine. Le plus souvent, ils ne les contactent qu’au moment de leur mise en service : Internet n’est alors pour eux qu’un énorme brouillard de guerre. Impossible dans ces conditions de savoir à quoi renvoie owni.fr ou hippohippo.ytmnd.com. Le reste du temps, ils se souviennent au moins temporairement (en cache) des indications de la racine. Certains FAI ont même opté pour une solution plus définitive : ils copient le fichier racine dans leurs serveurs, afin d’éviter de passer par la racine, raconte encore Milton Mueller.

La racine, c’est l’Amérique

Ceci dit, ils ne contournent pas complètement la racine, puisqu’ils se contentent de copier son fichier, qui peut connaître des modifications au fil du temps. Pour rester à la page, et continuer d’orienter les internautes, des mises à jour seront alors nécessaires et le problème restera le même : in fine, il faudra s’en retourner vers la racine.

Un système hyper-concentré qui ne correspond pas tout à fait à l’image d’Épinal d’un Internet rhizomatique, parfaitement décentralisé, sans queue ni tête. Et qui peut poser problème : car derrière la racine, il y a des hommes. Et oui, malheureusement pour nous -ou heureusement, c’est selon-, la racine n’est pas une intelligence autonome venue d’un autre monde, des petits serveurs dans ses bagages, pour nous offrir Internet. La racine, c’est l’Amérique. Et selon Stéphane Bortzmeyer :

aucune modification du fichier racine ne se fait sans signature d’un fonctionnaire aux États-Unis.

Deux institutions, l’Icann et Verisign, s’occupent de la mise à jour de cette liste. “L’Icann accepte ou refuse l’enregistrement des TLD, et transmet sa décision au Département du Commerce (DOC). Verisign effectue l’enregistrement ou la radiation des TLD dans la racine sur ordre du DOC, et parfois du FBI”, détaille Louis Pouzin. La machine est 100% made in USA.

Même si son rouage le plus connu, l’Icann, est présenté comme une organisation indépendante, une “communauté” constituée de FAI, “d’intérêts commerciaux et à but non lucratif” ou bien encore de “représentants de plus de 100 gouvernements”. Il n’empêche : si l’Icann gère la racine, c’est uniquement parce que les États-Unis le lui permettent. “C’est une relation triangulaire, explique Milton Mueller à OWNI. L’Icann comme Verisign sont contrôlés par le biais de contrats les liant au Département du Commerce américain.” L’Icann vient d’ailleurs de renouveler l’accord qui la lie à l’administration américaine, obtenant ainsi le droit de poursuivre l’intendance de la racine pour les cinq à sept prochaines années.

One root to rule them all

Internet après la fin de Megaupload

Internet après la fin de Megaupload

La coupure de Megaupload a provoqué un torrent de réactions. Le problème n'est pas la disparition du site en lui-même. Il ...

Potentielle arme de destruction massive, la racine est le nouveau gros bouton rouge qui fait peur, sauf que seuls les Etats-Unis peuvent en disposer. S’ils décident de faire joujou avec, ils peuvent par exemple supprimer une extension. Hop ! Disparu le .com et tant pis pour les Google, Facebook et autres machines à cash. Plus probable, ils peuvent aussi faire sauter un nom de domaine : c’est ce qui s’est passé en janvier dernier, avec le site Megaupload, qui a été rayé de la carte Internet.

Ils peuvent aussi bloquer l’arrivée d’un nouveau .quelquechose ou au contraire, élargir la liste. C’est d’ailleurs l’opération dans laquelle s’est lancée l’Icann, qui planifie l’arrivée des .lol, .meme, .viking -et un autre gros millier de réjouissances-, dans le fichier racine. Le tout contre quelque monnaie sonnante et trébuchante : 185 000 dollars la demande d’une nouvelle extension, 25 000 par an pour la conserver. Car aujourd’hui pour les marques sur Internet, c’est un peu be dot or be square.

“Fort heureusement, jusqu’à présent, les États-Unis n’ont pas eu de gestion scandaleuse de la racine”, modère Stéphane Bortzmeyer, avant de concéder :

Sur Internet, c’est un peu l’équilibre de la terreur.

Un pouvoir constitué de fait, au fil de la création du réseau. Et qui, forcément, ne laisse pas indifférents les petits camarades. Avec en premier chef, la Chine. L’empire du milieu menace souvent les États-Unis de construire sa propre racine. Encore récemment, avec la publication d’un draft auprès de l’IETF (Internet Engineering Task Force, l’organisme en charge des standards Internet), qui a fait grand bruit dans les médias. Sur son blog, Stéphane Bortzmeyer tempère : ces drafts “peuvent être écrits par n’importe qui et sont publiés quasi-automatiquement”. Avant d’ajouter par téléphone :

Les Chinois menacent, mais rien n’est encore fait.

“Les réseaux chinois sont connectés à Internet. La seule différence avec d’autres pays, c’est que le système de filtrage est beaucoup plus violent.”

Pour l’ingénieur réseau de toute façon, il est quasiment impossible de bâtir une racine alternative. Pas d’un point de vue technique : “nombreux sont les étudiants qui l’ont fait pour impressionner leurs petits copains !” Le problème est plus au niveau pratique :

Il y a une forte motivation à garder la même racine. Sans cela, owni.fr pourrait donner un résultat différent selon la racine employée !

Pas hyper commode pour un réseau à prétention internationale. C’est ce qui explique l’inertie qui entoure l’Icann, Verisign et la racine originelle : si tout le monde veut contrôler la racine, personne n’a intérêt à faire bande à part. Ou dispose de moyens et d’influence suffisamment conséquents pour provoquer une migration d’une racine vers une autre. “Le problème, c’est le suivi : faire en sorte que les gens basculent en masse vers l’autre racine, en reconfigurant tous les serveurs de nom, explique encore Stéphane Bortzmeyer. Il faut une grande autorité morale, proposer mieux en termes de gouvernance, de technique…” Bref :

Pour avoir une nouvelle racine, il faut prouver qu’on est meilleur que les États-Unis.

Un peu comme sur les réseaux sociaux, où il faut démontrer que l’on vaut mieux que Facebook, afin de briser son effet d’entraînement colossal.

Racine contre rhizome

Les nouvelles root de l’Internet

Les nouvelles root de l’Internet

Le 12 janvier, l’organisme californien en charge de la gestion des noms de domaine de l’Internet a ouvert les extensions ...

Pour l’expert de l’Afnic, seul un comportement inacceptable des États-Unis serait susceptible de faire bouger les lignes. D’autres en revanche, refusent de se plier au statu quo. Et estiment que la mainmise des États-Unis sur la racine suffit seule à proposer une alternative. C’est notamment le cas de Louis Pouzin, et de son projet “Open Root”. Pour ce pionnier du réseau, “la légende de la racine unique est un dogme assené par l’ICANN depuis 1998.” Et ceux qui la diffusent sont “les partisans d’une situation de monopole.” “Ils n’en n’imaginent pas l’extinction”, confie-t-il à OWNI.

D’autres vont encore plus loin, en imaginant une racine en peer-to-peer. Distribuée à plusieurs endroits du réseau. Fin 2010, l’emblématique fondateur de The Pirate Bay et de FlattR, Peter Sunde, a laissé entendre sur Twitter que ce projet l’intéressait. Depuis, et malgré un intérêt médiatique important, plus de nouvelles. Par mail, il nous explique avoir “confié les rênes” de ce projet à d’autres, par manque de temps. Mais ajoute croire encore en la nécessité d’une alternative :

Soit nous prenons le contrôle [de la racine], de manière distribuée et démocratique, soit nous la remplaçons dans un futur proche.

Et de poursuivre :

Il est ironique de croire en un Internet décentralisé quand ce TOUT ce que nous construisons repose au final sur un système placé entre les mains d’une organisation, qui dépend d’une juridiction, d’un pays qui a des intérêts particuliers dans la façon dont se comportent les autres pays.

L’ingénieur suédois rêve d’une alternative distribuée, “avec des caches locaux”. Utopie irréalisable selon Stéphane Bortzmeyer : “Le problème principal est celui de l’unicité”, justifie-t-il. En clair, un nom de domaine ne renvoie qu’à un contenu, stocké sur des machines identifiées par une adresse IP : en France, en Allemagne ou à Tombouctou, Owni.fr ne renvoie qu’à owni.fr. C’est ce qu’on appelle le système DNS (Domain Name System). Et c’est ce qu’assure la racine (qu’il est plus correct d’appeler “racine DNS” que “racine d’Internet”), grâce à un système de responsabilité en cascade : la racine détient la liste des .com, .fr et compagnie, elle les assigne à des sites (wikipedia.org, google.com), qui ensuite, gèrent comme ils l’entendent leur nom de domaine (en créant par exemple fr.wikipedia.org). Pas de pagaille, pas de doublon, et Internet sera bien gardé.

“Il y a eu quelques tentatives de faire un système en peer-to-peer, qui restent surtout au stade de la recherche fondamentale aujourd’hui“, poursuit le Français. “Mais toutes font sauter l’unicité ! Le mec qui trouve comment faire sans racine obtient tout de suite le Prix Nobel !”

Non sens pour Peter Sunde, pour qui “des projets de racine alternative existent et rencontrent parfois un certain succès.” Après, “tout dépend ce qu’on entend par succès”, précise-t-il. Mais en leur qualité de “terrains d’essai”, Peter Sunde leur apporte un plein soutien. Et Louis Pouzin de rappeler :

Un certain nombre de projets, ou concepts, ont déjà été commencés, sans réussir à percer. Au fait, quels pouvoirs ont intérêt à favoriser une racine entièrement décentralisée ?


Bonus : comprendre Internet, c’est aussi dessiner des petits serveurs avec des yeux et des bérets. J’ai fait un petit quelque chose, arrangé par Loguy (qu’il en soit remercié), pour savoir ce qu’il se passe avec la racine quand un internaute va sur owni.fr. C’est pour vous <3


Illustrations : motivational poster par FradiFrad via christopher.woo (CC FlickR)

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Frédéric Lefebvre économiste américain http://owni.fr/2012/06/02/leconomie-americaine-de-frederic-lefebvre/ http://owni.fr/2012/06/02/leconomie-americaine-de-frederic-lefebvre/#comments Sat, 02 Jun 2012 09:41:36 +0000 Pierre Leibovici http://owni.fr/?p=112329

Portrait de Frédéric Lefebvvre à Bercy en janvier 2011 par © Jean-Michel Sicot/Fedephoto

Une campagne financée par le secteur privé. C’est celle de Frédéric Lefebvre – qui n’a pas été en mesure de répondre à nos questions. L’ancien secrétaire d’État est candidat de l’UMP pour les législatives en Amérique du Nord. Pour cette élection inédite – pour la première fois les Français résidant à l’étranger élisent leurs députés – ce proche de Nicolas Sarkozy a joué avec le feu en matière de comptabilité. Il risque aujourd’hui de voir son compte de campagne contesté.

Au cours de ses deux mois de campagne, Frédéric Lefebvre n’aura pas tenu beaucoup de meetings ouverts au public. Chacune de ses réunions réclamait un carton d’invitation. Confronté à de multiples dissidences et à de vives critiques au sein même de l’UMP d’Amérique du Nord, le candidat a peut-être voulu éviter les débordements comme celui qui l’a poussé à exclure une militante, lors du lancement de sa campagne à Boston. Selon les informations que nous avons recueillies, le ténor de l’UMP a choisi de dépenser le moins possible pour sa campagne, en faisant appel, notamment, à la générosité des entreprises. Une pratique en principe illégale.

Encans

Lundi 2 avril, rue du Couvent à Montréal. Quelques dizaines de militants UMP se réunissent à l’Hôtel des Encans, une ancienne église reconvertie en une somptueuse salle de vente aux enchères. Ils sont venus assister au lancement de la campagne de l’unique candidat investi par l’UMP pour cette circonscription des Français de l’étranger, Frédéric Lefebvre.

L’ancienne église appartient au richissime commissaire-priseur Iegor de Saint-Hippolyte, également gérant de la société Iegor Auctions. L’homme est un proche de la section UMP du Québec – à laquelle il avait offert l’hospitalité pour une réunion, en février 2011 – et de quelques-uns de ses membres éminents. Le premier s’appelle Thibault Duval, président des Jeunes Populaires du Québec – la section 16-30 ans de l’UMP – également l’un des employés de Iegor Auctions, où il officie en tant que directeur du département “Art asiatique”.

L’autre figure locale de l’UMP proche de Iegor de Saint-Hippolyte n’est autre que Jeanine de Feydeau, la directrice de campagne de Frédéric Lefebvre pour le Canada. Elle est justement l’organisatrice de la soirée du 2 avril.

Contactée par Owni sur ces divers liens, Jeanine de Feydeau a préféré laisser répondre le directeur adjoint de la campagne au Canada, Stéphane Minson. Lequel nous a expliqué, lors d’un entretien téléphonique d’une vingtaine de minutes, comment Iegor Auctions avait offert son hospitalité à l’occasion du “meeting des Encans” :

Je peux vous garantir que la salle a été fournie à titre personnel et gratuit. Elle n’a coûté absolument rien au candidat.

De bonnes intentions qui pourraient entrer en contradiction avec les textes. Selon l’article L52-8 du Code électoral, la fourniture de services par une société comme le prêt d’une salle de meeting est prohibée :

Les personnes morales [terme juridique pour qualifier les sociétés, NDLR] (…) ne peuvent participer au financement de la campagne électorale d’un candidat ni en lui consentant des dons sous quelque forme que ce soit, ni en lui fournissant des biens, services ou autres avantages directs ou indirects à des prix inférieurs à ceux qui sont habituellement pratiqués.

Relais

Avec une petite subtilité, néanmoins. En effet, la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP), l’organisme chargé de vérifier les dépenses de campagne des candidats, accorde une qualification “électorale” aux réunions de militants où figure un “relais d’opinion”, comme l’indique son site Internet. Si aucun relais d’opinion ne se présente, les dépenses effectuées lors d’une réunion de militants ne doivent pas, dès lors, figurer au compte de campagne du candidat.

Mais pour le “meeting des Encans”, le journaliste du bureau de Montréal de l’Agence France presse (AFP) a confirmé sa présence à Owni. La réunion revêt donc un caractère électoral, et la non-retranscription dans le compte de campagne des frais de location de la salle des Encans devrait entraîner une contestation. Le carton d’invitation évoque une réunion entre amis. Mais quand il parle du “meeting des Encans” sur son blog de campagne, dans un billet du 13 mai dernier, Frédéric Lefebvre la qualifie lui-même de réunion publique :

De la même façon, lors de ma grande réunion publique au magnifique Hôtel des Encans il y a quelques mois, avec tant de compatriotes et tant de jeunes autour de Thibault Duval. Quelle émotion dans cette salle mythique.

Tontons Flingueurs

Des réunions sur invitation comme celle de l’Hôtel des Encans, Frédéric Lefebvre en a tenu plusieurs. L’entretien avec le directeur adjoint de sa campagne pour le Canada, Stéphane Minson, en a révélé d’autres :

Notre objectif est de faire ce qu’on pourrait appeler de la ‘politique non-spectacle”. On ne se retrouve qu’entre amis. Chacun paie sa part et a plaisir à le faire. Ce qu’on souhaite, c’est obtenir un budget égal à zéro : zéro dépenses.

Encore une fois, l’absence de mention de ces dépenses sur le compte de campagne n’est contraire à la loi que si un relais d’opinion est présent parmi les militants. Owni a retrouvé la trace d’au moins deux réunions sur invitation qui se sont tenues dans des restaurants montréalais et en présence de la presse québécoise.

Le premier de ces meetings privés a lieu le 2 avril dernier, le même jour que celui de l’Hôtel des Encans, un peu plus tôt dans la journée. Une douzaine de militants UMP sont alors conviés à un repas dans la crêperie Les Tontons Flingueurs (ça ne s’invente pas), aux côtés du journaliste de Radio-Canada Franck Desoer, qui les interroge pour un reportage consacré, entre autres, aux élections législatives au Québec.

Mais ce jour-là, c’est le gérant des Tontons Flingueurs qui paie son repas ou plutôt, selon le droit électoral, la personne morale du restaurant. Comme pour Iegor Auctions, cette aide en nature est à même d’être déclarée illégale par la Commission nationale des comptes de campagne. Interrogée par Owni, l’une de ses porte-parole confirme, tout en précisant qu’il ne s’agit pas d’une “décision” mais d’une “réponse a priori, que cette invitation peut être considérée comme le “concours d’une personne morale à la campagne d’un candidat”.

Parce qu’il n’y a pas de petits profits, chacun des militants est également sommé de payer sa part ce midi du 2 avril. Pour cela, cependant, “rien ne devrait être considéré comme illégal”, selon l’interlocutrice de la Commission nationale des comptes de campagne que nous avons jointe.

Très récemment, cette situation s’est répétée à l’identique dans un autre restaurant de Montréal. Le 23 mai dernier, un dîner militant est organisé au Plein-Sud, toujours en présence de la presse, comme le confirment deux images présentes sur la page Facebook officielle de Frédéric Lefebvre – la première représente une interview avec la télévision de Radio-Canada tandis que deux caméras de télévision sont visibles sur la seconde.

Le carton d’invitation pour cette soirée obtenu par Owni annonce encore une fois la couleur, en indiquant aux militants que le menu “entrée, plat, dessert” leur en coûtera 30 dollars :

Recadrage

Les mêmes doutes que précédemment subsistent. Frédéric Lefebvre a jusqu’au 14 septembre prochain – voire jusqu’au 28 septembre s’il passe le premier tour – pour déposer son compte de campagne définitif auprès de la Commission qui devra l’examiner. Il lui reste donc plus de trois mois pour demander à ces généreuses entreprises de produire les factures qu’elles ont réglées à sa place et qui manquent à son relevé de dépenses.

S’il y parvient, le ténor de l’UMP n’aura donc sans doute rien à craindre de la loi. Un recadrage de ses proches s’imposera sûrement, en revanche. Toujours convaincu de la légalité de sa démarche, Stéphane Minson termine son entretien sur ces mots :

Vous savez, c’est pas facile de trouver une salle gratuite à Montréal. Je garde la surprise, mais pour un autre grand déplacement lors du deuxième tour, on s’est arrangé pour ça ne coûte rien au candidat.


Photographie de Jean-Michel Sicot ©/Fedephoto. Portrait de Frédéric Lefebvre à Bercy en janvier 2011 pour les voeux à la presse. Edition par Ophelia Noor pour Owni /-)

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Uranium militaire en croisière http://owni.fr/2012/04/02/uranium-militaire-en-croisiere/ http://owni.fr/2012/04/02/uranium-militaire-en-croisiere/#comments Mon, 02 Apr 2012 07:14:40 +0000 Claire Berthelemy http://owni.fr/?p=103981

© Laurent Vautrin, Le Carton/Picturetank

Depuis la publication de l’article, des déclarations ont eu lieu remettant en cause les propos de Greenpeace. Voir notre ajout dans un autre article.

La France s’apprête à importer des États-Unis près de 180 kg d’uranium de qualité militaire en lui faisant traverser l’océan atlantique sur un bateau ne répondant pas aux normes de sécurité pour pareil transport. Le 21 octobre dernier, un centre de recherche grenoblois, l’Institut Laue-Langevin, a obtenu des États-Unis une licence pour recevoir cet uranium dit de “qualité militaire”, par l’entremise d’une filiale d’Areva, selon des documents du département américain à l’Énergie (consultable au bas de cet article).

Voyage, voyage

Selon nos informations, depuis ce week-end, cet uranium est sur le point de quitter le sol américain depuis un port (dont nous ne dévoilons pas le nom pour des raisons de sécurité), à bord d’un navire britannique propriété de la Nuclear Decommissionning Agency(NDA – dont TN International, la filiale de transports des combustibles d’Areva est actionnaire).

Dans ses soutes, un peu moins de 180 kilos d’uranium enrichi à 93% destinés à rejoindre les bâtiments de la Compagnie pour l’étude et la réalisation de combustibles atomiques (CERCA) près de Valence, dans l’Est de la France, pour y être assemblé à de l’aluminium. Et alimenter ensuite le réacteur de recherche HFR (High flux reactor) de l’Institut Laue-Langevin de Grenoble, détenu en partie par le Commissariat à l’énergie atomique (CEA) et le Centre national de recherche scientifique (CNRS).

Le 16 mars, la Nuclear Regulatory Commission, équivalent américain de l’Autorité de sureté nucléaire française (ASN) a délivré l’ultime autorisation permettant ce transport (page 7 des documents ci-dessous). Problème, le bateau de la NDA affrété pour la circonstance est vieux de 25 ans et ne correspond plus aux normes en vigueur pour ce genre de voyage à haut risque – en raison de la qualité militaire de l’uranium acheminé et de l’intérêt qu’il peut éveiller.

Ce navire, dont nous connaissons le nom et les caractéristiques, appartient à une flotte vouée à démolition comme les bateaux de ce type et de sa génération – qui sont actuellement en cours de remplacement. Un spécialiste s’étonne :

Ces bateaux-là sont conçus pour ça et ce type de voyages arrive de temps en temps, pour le transport du MOX vers le Japon par exemple. Sauf que 25 ans pour un bateau qui assure des missions de transport d’uranium, c’est vieux.

D’autant que pour cette flotte britannique, et particulièrement cette série de bateaux, se sont posés des problèmes de corrosion de la coque, argument utilisé pour la refonte complète des bateaux de la NDA. Et ce même après quelques modifications “destinées à renforcer sa flexibilité opérationnelle en le rendant compatible avec le plus grand nombre de colis et de conteneurs ISO, afin de répondre aux besoins des clients”. Yannick Rousselet, chargé de la campagne nucléaire chez Greenpeace précise :

La NDA voulait à l’origine construire un nouveau bateau. Finalement, pour des raisons financières, ils ont décidé de ne pas construire ce bateau et ont préféré récupérer celui-ci. Curieux de se retrouver avec un vieux bateau pour ce transport-là !

À l’époque de l’acheminement de MOX vers le Japon, “il possédait des canons de défense, dont un témoin affirme qu’ils ont été démontés depuis” précise Yannick Rousselet. Autre anomalie constatée par le chargé du nucléaire chez Greenpeace et confirmée par la carte du port depuis lequel le bateau doit partir : alors que les cargos de ce type naviguent de concert pour se protéger tout au long du trajet, dans le port, le navire chargé pour Areva était amarré seul.

8 kg d’uranium par rechargement

La Compagnie pour l’étude et la réalisation de combustibles atomiques (CERCA), une des nombreuses filiales d’Areva, près de Romans, intervient dans la fabrication et la fourniture de combustible pour les réacteurs de recherche. Dans l’installation nucléaire de base (INB) qui abrite un atelier d’élaboration de combustibles hautement enrichi, l’uranium américain sera donc couplé à de l’aluminium. Pour alimenter le réacteur de l’institut de recherche grenoblois à l’origine de la commande.

À terme, les équipes travaillant sur le réacteur souhaitent utiliser un uranium moins enrichi. Hervé Guyon, chef de la division Réacteur de l’Institut Laue-Langevin, souligne la volonté de baisser le pourcentage d’enrichissement de l’uranium, ” et de faire fonctionner le réacteur avec un combustible enrichi à 20% environ. D’ici 2019-2020.”

En attendant, le réacteur continuera de se fournir “ailleurs”, et surtout depuis les Etats-Unis. Pour Yannick Rousselet, “il y a clairement un problème de risque de prolifération. Avoir des matériaux utilisables à des fins militaires comme ça, directement sur l’océan… Et il a l’avantage d’être sous forme métallique directement utilisable. Un des premiers risques c’est aussi le détournement de matière.”

Face aux nécessités de sécurisation du convoi, les lobbys du nucléaire cultivent leur mutisme : si personne n’est au courant du convoi, le convoi est sécurisé, CQFD. À l’évocation de l’argument “secret bien gardé transport sécurisé”, Yannick Rousselet ironise :

Ce secret, faites-moi la démonstration que nous ne le savons pas ! Quelqu’un qui vraiment veut ces matières peut les récupérer.

License Export

MÀJ du 2/04, 10 h : Julien Duperray, porte-parole de l’activité transport d’Areva, précise que “certaines activités sont clairement classifiées et on ne peut pas communiquer sur celles-ci. Les transports de ce type de matériaux ne représentent qu’une petite part de notre activité.”


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Photographie via Picture Tank par © Laurent Vautrin/Le Carton, tous droits reservés

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