OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Les zolis dessins de Kim Jong-Il http://owni.fr/2011/08/27/dessins-animes-coree-nord-propagande/ http://owni.fr/2011/08/27/dessins-animes-coree-nord-propagande/#comments Sat, 27 Aug 2011 13:30:34 +0000 Alexandre Marchand http://owni.fr/?p=77140 Traîtres à la tête enflée”, “chiens enragés”, “vile lie humaine”… Dans un récent article, le New York Times se penchait sur le langage peu châtié de KCNA, l’agence officielle de la Corée du Nord, dans ses communiqués au reste du monde.

En réalité, le régime de Pyongyang veille à imposer un lexique belliqueux à l’ensemble de la population. En témoignent les dessins animés officiels à destination des enfants. Petits bijoux de propagande brut de décoffrage, ces films d’animation justifient cinquante ans d’une autarcie organisée entre paranoïa et agressivité, abnégation guerrière et militarisme. Ou, pour reprendre KCNA:

[Les dessins animés] sont faits pour implanter dans l’esprit des enfants un patriotisme brûlant et canaliser la haine envers l’ennemi

L’ennemi tu combattras

Exemple: dans la clairière d’un bois, un ours brun esquisse quelques pas de danse classique coréenne. Au gré d’innocents chœurs enfantins, il pousse la chansonnette devant une bande d’écureuils admiratifs :

Quelle que soit la manière, j’utiliserai ma force

Jusqu’à ce que l’ennemi ne soit plus que poussière dans le vent

Faites-les sauter, faites-les sauter

Bienvenue dans la série “L’écureuil et le hérisson”. Le village des écureuils est sous la menace d’une armée de belettes féroces. Heureusement, le grand ours de la colline veille au grain pour protéger les vulnérables créatures. Mais, usant de la ruse, les ennemis parviennent à soûler l’ursidé et mettent les cabanes à feu et à sang. Seul un écureuil parvient à échapper à la rafle et court rejoindre ses amis hérissons à l’organisation martiale, rompus au combat. La grande guerre de reconquête peut alors commencer…

Cliquer ici pour voir la vidéo.

En Corée du Nord, les films d’animation servent un même objectif. Comme l’explique à OWNI la chercheuse Dafna Zur, spécialiste des éditions nord-coréennes pour les enfants, la représentation du combat contre un agresseur est essentielle:

La Corée du Nord a toujours fait face à de vrais défis économiques. Le rôle de la propagande est, notamment, de parvenir à mobiliser les Nord-Coréens en attisant une grande aversion de l’ennemi, quel qu’il soit.

Portraiturer l’ennemi sous des traits animaliers est une vieille tradition en Corée du Nord, remarque la chercheuse à l’université Keimyung (Corée du Sud). Dans les années 1950 déjà, Adong Munhak, le grand magazine pour enfants de l’époque, contenait inévitablement une parabole animalière sous forme de bande dessinée. Et les canons du genre n’ont guère évolué en l’espace de quelques décennies. En guise d’innocents Nord-Coréens, les animaux purs et intelligents de la forêt: le lion, l’ours, l’écureuil, le hérisson (véritable mascotte nationale)… À l’ennemi, la figure d’un animal sournois et détesté: la belette, le chacal… (faisant également référence aux surnoms donnés aux Américains).

La violence tu aduleras

Le “canon-crayon” est un grand classique qui tourne sur Internet depuis quelques années. Un garçon nord-coréen est assis à sa table de travail, à plancher sur son devoir de géométrie. Tombant de sommeil, il se laisse emporter dans un rêve.

Catastrophe, les tanks américains arrivent par la mer. Heureusement le héros et ses petits amis ont revêtu l’uniforme militaire et courent défendre les rivages du valeureux pays. Les engins américains (nez crochu, yeux vicieux) avancent, avancent. Le petit écolier et ses crayons-missiles sont le dernier espoir de la nation… “Tire, tire !” lui hurle un espèce de petit tyran. De guerre lasse: les projectiles ratent leur cible. Et l’ennemi qui approche…il sera bientôt là…il arrive…

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Depuis la guerre de Corée (1950-1953), note Dafna Zur, l’une des principales caractéristiques des images à destination des enfants (affiches, bande dessinées ou films d’animation) est de jouer sur la synergie de la candeur et de la violence. L’enfant est représenté comme une figure éternellement innocente. Dans le “canon-crayon”, le héros est ainsi représenté sous les traits d’un petit garçon au teint diaphane, les traits purs et doux, sans la moindre ombre sur le visage, les cils recourbés…. Dénué d’humanité, l’enfant atteint le statut de symbole.

Et pourtant cette figure canonique se lance sans hésitation aucune dans la guerre (en l’occurrence bombarder les Américains de crayons-missiles). La violence ainsi esthétisée est présentée comme le simple jeu d’un enfant, un jeu naturel et désirable. Mais les dessins animés ne possèdent toutefois pas la crudité des bandes dessinées, où l’on voit les peaux déchirées, les corps déchiquetés, les armes ensanglantés. Si la violence est moins présente à l’écran, elle n’en est pas moins suggérée à tout bout de champ: uniformes, injonctions martiales, musique militaire récurrente… L’expérience semble même carthartique: en s’affrontant à un ennemi déshumanisé (belette, tank…), l’individu s’accomplit lui-même, il semble passer une étape salvatrice. Influencée par l’esthétique du Japon militarisé des années 1930, alors puissance colonisatrice de la Corée, cette apologie de la mort et de la violence joue sur son pouvoir mobilisateur, comme le remarque Dafna Zur:

La glorification de la violence est partie intégrante de l’identité nord-coréenne. Il y a quelque chose d’excitant dans la violence, dans le défi de l’ennemi. La brutalité est une émotion viscérale, une émotion forte qui unit le peuple

Pour la nation tu te sacrifieras

Pourquoi les écureuils ont-ils été défaits par les belettes ? Car ils n’étaient pas organisés militairement, trop confiants dans la protection du seul ours.

Pourquoi l’écolier n’arrive-t-il pas à repousser l’invasion des tanks américains? Car, n’ayant pas fait son devoir de géométrie, il se trompe dans l’angle du lancement de ses missiles

Dans chaque cas, la nation (ou sa représentation narrative) est mise en danger en raison d’une erreur. Le moindre faux pas d’un individu risque de compromettre la communauté toute entière. La morale est intangible : “sois irréprochable pour pouvoir défendre ton peuple”. Dans “L’écureuil et le hérisson”, tous les animaux s’allient ainsi ensemble pour créer une armée organisée et aller battre les belettes. Dans le “canon-crayon”, l’écolier se réveille en sursaut et retourne à son devoir de géométrie avant d’aller professer de lénifiantes leçons à ses camarades sur l’importance de l’apprentissage.

Parfois, la nation requiert même un véritable sacrifice. Un autre dessin animé, datant de 1993, met ainsi en scène un couple de jeunes épis de maïs assistant, héberlué, au combat héroïque d’un régiment de patates. À peine les nouvelles cultures mises en terre, voilà que des bactéries s’apprêtent à venir les dévorer. Heureusement, l’armée (de pommes de terre) est là pour défendre les futures récoltes. S’engage alors une lutte drolatique entre bactéries et patates, le tout sous le regard effrayé des deux épis de maïs. L’issue est favorable: les pommes de terre sortent victorieuses. À peine couronné de son succès, le régiment se jette dans une machine agricole pour en ressortir sous forme de paquets de chips ou de purée. Pour nourrir la nation, comprenez. Une nouvelle génération de pommes de terre, encore plus nombreuse, voit alors le jour grâce à l’abnégation de ses aînés.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Contrairement aux autres dessins animés, celui-ci ne donne pas (trop) dans la métaphore guerrière. L’accent est plutôt mis sur les sacrifices auxquels chaque individu doit consentir pour que la nation puisse connaître des lendemains ensoleillés où la nourriture foisonnera. Un message bien senti pour un film d’animation sorti au beau milieu des grandes famines des années 1990…

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Jan Muehlfeit : « Ce siècle n’appartient pas à l’Occident. » http://owni.fr/2011/02/09/jan-muehlfeit-%c2%ab-ce-siecle-nappartient-pas-a-loccident-%c2%bb/ http://owni.fr/2011/02/09/jan-muehlfeit-%c2%ab-ce-siecle-nappartient-pas-a-loccident-%c2%bb/#comments Wed, 09 Feb 2011 07:30:49 +0000 Roman Chlupaty http://owni.fr/?p=45724 Jan Muehlfeit, est le directeur de Microsoft Europe. Il a accepté de répondre à nos questions sur la crise, l’établissement d’un monde multipolaire et les leçons à tirer de ces changements.

L’Ouest a dominé une grande partie du monde depuis la chute de l’empire soviétique. Est-ce que vous pensez qu’avec la crise, des choses vont changer ? En d’autres termes, la crise pourrait-elle menacer ou changer la position de l’Occident ?

Plusieurs choses qui doivent être prises en considération se sont passées ces dix dernières années. D’abord, la mondialisation est en marche. Et elle ne concerne pas uniquement l’Ouest, mais aussi l’Asie et l’Amérique Latine. Il y a 10 ans, les marchés émergents étaient endettés et l’Occident était plus prospère. Les choses sont très différentes aujourd’hui. Les pays asiatiques ont 4,6 trillions de dollars US de réserve financière, 2,6 trillions juste pour la Chine. L’hémisphère Ouest, ce que ce soit l’Europe, l’Amérique du nord ou d’autres pays, est endetté. C’est l’une des choses qui aura un impact important dans le futur.

Un autre facteur est la démographie. La plupart des pays asiatiques, les nouveaux tigres émergents, toucheront comme un dividende démographique. À l’Ouest, et spécialement en Europe, la population vieillit. Cela aura un impact lors des départs à la retraite etc. Enfin, en plus de tout, il y a la crise. C’est pour ces raisons que j’affirme que le XXIe siècle ne sera pas celui de l’Occident. Ce sera le siècle d’une mondialisation équilibrée dans laquelle l’Asie jouera un rôle très important, résultat des tendances démographiques et des dettes occidentales. En plus, et c’est d’autant plus clair quand on regarde beaucoup de pays asiatiques, grâce à leur compétitivité, qui augmente.

Certains affirment que nous faisons l’expérience d’une crise du capitalisme –  au moins dans le sens que nous lui donnons en Occident, c’est à dire en connexion avec la démocratie libérale et que ce faisait, nous avons besoin de grands changements. Quelle est votre position?

Je pense que ce que nous vivons n’est pas une crise du capitalisme mais une crise de leadership. Tout les pays occidentaux ne se trouvent pas dans le même bateau. Le Canada par exemple, qui n’a jamais trop assoupli ses régulations bancaires, a très bien supporté la crise. De même, je pense que c’est une bonne chose que nous soyons passé du G8 au G20 car les cartes, qu’elles soient économiques ou liées à l’influence politique dans le monde, ont été récemment redistribuées quelque peu différemment. Ainsi, ces nouveaux marchés ont leur mot à dire. Si le G20 devait résoudre un problème, là tout de suite, c’est trouver comment introduire un équilibre dans les échanges. Car nous ne pouvons pas avoir une situation dans laquelle d’un côté du monde d’énormes surplus sont créés pendant que l’autre côté, lui, amasse toujours plus de dettes. Il y a un besoin de sortir des perspectives idéologiques et d’avoir un regard rationnel sur la situation.

Une autre chose qui je pense doit changer est les modèles que les économistes utilisent pour leurs prédictions. Les êtres humains sont pleins d’émotions. Pourtant, très peu d’économistes se penchent sur la façon dont les gens fonctionnent. C’est pourquoi je crois que nous devons faire bien plus attention à la psychologie et aux émotions qui sont sans nul doute affectées par les crises et le cycle économique.

Vous mentionnez le comportement des gens, qui est souvent l’objet de discussions liées à la crise : est-elle est une crise de la morale et de l’éthique dans les cercles d’affaires comme certains le pensent, montrant du doigt par exemple ce qui a pu se passer notamment dans des banques américaines ?

Adam Smith, un des pères spirituels du capitalisme, écrivait il a 230 ans dans La Richesse des Nations, que l’on peut faire du profit tout en prenant des précautions, les deux cohabitant de manière équilibrée. Je trouve que nous, en tant que société humaine – et c’est particulièrement vrai pour l’Ouest, nous sommes concentrés énormément sur le profit et très peu sur les précautions, le soin d’autrui, de la société et aussi l’attention à porter à la nature. Il nous faut retrouver cet équilibre. C’est lié par exemple à la façon dont on forme aujourd’hui les dirigeants de demain. La plupart des programmes de type MBA enseignent comment faire du profit. Mais des sujets comme faire attention, la viabilité sur le long terme ou comment faire des affaires de manière responsable manquent à l’appel. Cela doit changer. Car si le système capitaliste veut fonctionner – et je pense que c’est le meilleur système qui a été inventé à ce jour – alors l’équilibre entre le profit et les précautions doit vraiment être préservé.

Peut-on éventuellement considérer ceci comme l’un des leçons de la crise actuelle ? Si oui, est-ce que vous pensez que le monde aura retenu la leçon pour la prochaine fois ?

Je suis d’un optimisme incroyable. Quand je parle avec des représentants d’autres entreprises, dans notre secteur ou ailleurs, ils sont sur la même longueur d’ondes. Je suis optimiste grâce à la jeune génération. Grâce aux réseaux sociaux, elle voit plus loin. Elle comprends la technologie bien mieux que la génération actuellement au pouvoir. Cela veut aussi dire que les membres de cette générations seront dans des positions de pouvoir bien plus rapidement que ma génération. C’est l’une des raisons qui fait de moi un optimiste.

Par contre, je suis moins optimiste à cause du fait que ces entreprises soient des entités cotées en Bourse qui doivent rendre des comptes à leurs actionnaires chaque trimestre. Or si nous voulons changer les choses dont nous discutons en ce moment, il nous faut y inclure ces investisseurs et actionnaires, ce qui est loin d’être le cas. Un autre exemple est ce que l’on appelle la mondialisation inclusive, une mondialisation qui marche plutôt bien pour l’Asie mais bien moins pour l’Afrique. Je pense qu’il nous faut un modèle qui intègre ce continent. Tout ceci est lié à la façon dont nous gérons la transition vers un monde multipolaire, représenté par le G20, en rupture avec le monde bipolaire que nous avions jusqu’alors. Ce changement nécessite de notre part une modification complète des comportements et de leadership.


Enfin, subsiste la nécessité de réduire les inégalités entre les riches et les pauvres. Imaginez un peu: en 1945, les pays développés étaient 5 fois plus riches que les pays pauvres. Aujourd’hui, ils sont 45 fois plus riches.

Vous parlez de la venue d’un monde multipolaire. A la lumière de cette idée, est-ce que le monde des affaires va devoir trouver un langage commun à propos du respect de l’éthique et de la morale, ou bien l’Occident ira dans une direction et la Chine, suivie par les autres pays émergents, ira dans une autre ?

Je pense que nous allons voir une sorte de symbiose entre le modèle occidental et ce que l’on appelle le modèle asiatique, et certaines philosophies orientales auront un impact important et positif. Beaucoup de managers occidentaux ont commencé à méditer – sans aucune connotation religieuse. Simplement, c’est une technique qui leur permet de gérer leur stress. Des Asiatiques viennent étudier en Occident et beaucoup de sociétés occidentales font des affaires en Asie. C’est pourquoi on va voir une certaine inter-connectivité.

En ce qui concerne la morale, je suis convaincu qu’au XXIe siècle, un société prospère ne pourra pas échapper à ce que l’on appelle la responsabilité sociale des entreprises, ou RSE. Les entreprises les plus prospères seront celles qui feront le plus pour être les meilleures sur la planète et pour la planète. C’est lié à ce que je disais sur la jeune génération. Par exemple, lorsqu’il y a 10 ans, j’embauchais quelqu’un à Microsoft et que je demandais s’il avait des questions, beaucoup m’interrogeaient sur les indemnités, les bonus, ce genre de choses. Aujourd’hui, il y a plus de question sur comment une entreprise se comporte: par exemple, est-ce qu’elle est active en Afrique depuis longtemps, ensuite vient souvent la question de savoir ce que l’on ferait pour aider l’Afrique à intégrer la mondialisation. Je le répète, si une entreprise veut avoir du succès au XXIe siècle, la RSE doit faire partie intégrante de sa stratégie.

La RSE est souvent présentée comme étant un obstacle pour les entreprises occidentales. Notamment parce que ce sont elles dont on attend un comportement responsable. Les sociétés en Chine ou dans d’autres pays se développant rapidement ne sentent pas la même pression, du moins elle ne vient pas de leurs marchés domestiques. Est-ce que vous pensez que cela va changer ou bien rester à l’identique – quitte à être un certain désavantage pour l’Occident et ses entreprises ?

Je pense que les choses sont déjà en train de changer. Je suis président de l’Academic Business Society, qui rassemble de grosses entreprises et des universités. Cette institution a été fondé en Europe mais c’est désormais une organisation mondiale. Un nombre grandissant de ses membres viennent d’Asie et d’Amérique latine. Notre symposium le plus récent a eu lieu à Saint-Pétersbourg, en Russie. La RSE a commencé à être un thème abordé dans ces pays. C’est aussi le résultat de la coopération entre des marchés émergents et l’Occident. Imaginez plutôt : si vous voulez créer une entreprise prospère, même si vous n’êtes qu’une petite entreprise de République tchèque qui fournit des pièces à Škoda, vous êtes, grâce à l’inter-connectivité de l’économie mondiale, en compétition avec d’autres petites sociétés situées partout dans le monde.

La RSE peut joué un rôle dans cette rude compétition, c’est pour cela que je ne la considère pas comme un fardeau pour les entreprises.  La responsabilité sociale des entreprises est pour moi partie intégrante de la stratégie commerciale, une partie sans laquelle il est impossible d’exister.

Pour finir, penchons nous à nouveau sur la crise. L’idéogramme chinois pour « crise » signifie à la fois « danger » et « opportunité ». Est-ce que c’est comme cela que vous voyez la crise – pour Microsoft comme pour l’économie mondiale ?

Absolument. C’est en partie dû aux choses dont j’ai parlé – les dettes, la démographie, la compétitivité. La crise est une opportunité incroyable pour mener à bien les réformes nécessaires. En Europe, il s’agit des réformes des retraites et du système sociale ainsi que la réforme de l’Education qui doit offrir plus de soutien à la créativité et à l’innovation étant donné que l’Europe doit gagner sa vie en vendant des idées. Il est grand temps de faire ses réformes. La question qui subsiste est de savoir si les politiciens européens auront le courage de mener à terme ces réformes. Car il y a parfois de grandes différences entre ce que l’on sait que l’on doit faire et ce que l’on fait. Par exemple, l’Union Européenne a une stratégie pour 2020. C’est tout à fait respectable. Mais il faut la mettre en oeuvre. C’est pour cela que je pense que la crise est l’occasion d’apporter des changements. En plus, les gens, les électeurs, sont beaucoup plus ouverts au changement maintenant. Si ces réformes sont bien expliquées, il y aura les opportunités pour les faire passer. Mais la fenêtre de tir dont nous disposons pour agir est limitée.

Interview réalisé par Roman Chlupaty pour Owni et GlobeReporter.org.
Traduction Thomas Seymat

Crédit Photo Flickr CC : Stuck in Custom / Norges Bank

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Enquête: 70 centimes les 1000 captchas http://owni.fr/2010/05/14/enquete-70-centimes-les-1000-captchas/ http://owni.fr/2010/05/14/enquete-70-centimes-les-1000-captchas/#comments Fri, 14 May 2010 12:00:04 +0000 Nicolas Kayser-Bril http://owni.fr/?p=15663 Cherchez « captcha entry » sur Google et vous comprendrez. Du Bangladesh, d’Inde ou du Pakistan affluent les annonces proposant de rejoindre des « équipes de spécialistes en saisie de données » (sic).

Comprendre une armada de jeunes asiatiques payés au lance-pierre pour déchiffrer à la chaîne des milliers de captchas, ces images affichant chiffres et lettres, mises en place pour empêcher la profusion des spams.

Pour contourner les protections mises en place par les plateformes de blogging et d’e-mail, les spammeurs n’hésitent pas à recourir à de la main d’œuvre laborieuse d’Asie du Sud. Et cette pratique se répand.

Pas étonnant, étant donné que la plupart des salaires proposés (généralement aux alentours de 3$ de l’heure) sont bien plus élevés que les salaires moyens (au Pakistan, le revenu moyen journalier par habitant est de 3$ par jour, deux fois moins au Bangladesh).

Quelques dollars de l’heure : un prix ridicule pour une entreprise anglaise ou américaine, pas si mal pour de jeunes asiatiques diplômés et équipés. Ce qui n’empêche pas certains chiffres d’effrayer : entre 70 centimes et 1 dollar les 1000 captchas déchiffrées.

Mais au-delà de ce type de travail, c’est tout un écosystème de « freelancing borderline » qui se développe sur Internet. Vous voulez une liste de quelques milliers d’adresses mail fonctionnelles ? 10 000 faux fans sur votre page Facebook d’ici demain ? Ou pire ? Ne cherchez plus, il y a forcément un freelancer pour ça.

Et les barrières entre légalité et illégalité semblent bien fragiles.

5000 photos d’ados en 24h? No problem.

Alors, ce serait si facile d’embaucher quelqu’un pour faire son sale boulot? Ne reculant devant aucun danger pour ses lecteurs, l’équipe d’OWNI, inspirée par les plus grands reportages des Infiltrés, est allé vérifier.

Nous avons cherché des freelancers capables de nous extraire les infos personnelles de 5000 comptes Facebook en France. Nos conditions: que des filles entre 13 et 16 ans, avec photos (regardez l’annonce sur le site odesk.com).

Plus sale, tu meurs.

Sans surprise, plusieurs Philippins, Bangladeshis, Indiens et Pakistanais nous ont proposé leurs services, à un tarif oscillant entre 2 et 4 euros de l’heure. Si les modérateurs des sites en question ont publiés l’annonce sans broncher, un freelancer s’interroge quand même sur la légalité de la chose. Avant de proposer de l’accomplir en 24 heures.

Plus étonnant, Tayyab N., jeune pakistanais titulaire d’un master d’histoire islamique de l’Université de Peshawar, nous a envoyé un échantillon d’un travail réalisé l’année dernière. Sur une feuille Excel, les noms, dates de naissance, sexes et numéros de téléphone d’utilisateurs de Facebook. A la grosse louche, la précédente commande concernait environ 1000 profils (l’échantillon en contient 130 jusqu’à la lettre AN). Après quelques vérifications, les données fournies par Tayyab semblent correctes à 80% (mais le fichier date de 2009) et concernent en majorité des étudiants et étudiantes australiennes. Dans quel but? Mystère.

Un autre freelancer, sur le site Freelancer.com, nous a envoyé ses références en Facebook Bulk Marketing (marketing de masse). A le croire, les 10 000 fans de plusieurs sites commerciaux et institutionnels n’ont rien d’authentiques. (Et si l’on en croit les nombreuses annonces proposant ou réclamant plusieurs milliers de fans pour une page Facebook en quelques heures, on est tout disposé à le croire).

D’après les quelques éléments dont on dispose, ces professionnels de Facebook animent quelques dizaines de profils disposant chacun de 1000 à 4000 amis, élaborés en fonction du marché visé. Tous ces profils sont évidemment des nanas en maillot de bain, mais leurs informations personnelles sont suffisamment travaillées pour ne pas paraître soupçonneux pendant la seconde qu’on prend à accepter ou refuser un ami.

Le fait qu’une telle annonce ait pu être validée sur une plateforme pose la question de leur contrôle. Nous avons donc contacté Xenios Thrasyvoulou, le CEO de PeoplePerHour.com, un des principaux acteurs du marché. Il semble d’abord un petit peu déconcerté par nos questions et ne semble pas très au courant de ce genre d’annonces. “Nous vérifions tout le site” nous affirme-t-il cependant. Quand nous lui posons la question de l’éventuelle présence d’offres à la limite de la légalité, il nous explique “ne pas les autoriser”.

Nous insistons et le mettons devant le fait accompli : “il y a toujours ce genre de choses, comme partout et comme toujours” s’entend-on répondre.

Le contrôle des offres postées sur le site se fait a priori, et semble fonctionner : notre annonce – acceptée sans plus de précaution par oDesk – n’a ainsi toujours pas été validée par PeoplePerHour. Si le CEO nous explique qu’ils font “plus que [leurs] concurrents pour la qualité des jobs”, il ne semble ni très intéressé, ni très concerné par la question – même lorsque nous mentionnons un possible lien avec le spamming.

Peut-être parce que cela ne représente, dans le meilleur des cas, qu’une petite partie infinitésimale des offres postées sur le site : 5% seulement de ces dernières sont dites “administratives”. Et si la plateforme semble mieux contrôlée et administrée que certaines de ses rivales, cela n’empêche pas PeoplePerHour de compter de nombreuses offres à l’intitulé douteux.

Pour nous expliquer ce phénomène, nous avons contacté un expert Français du “Black Hat SEO“. Il nous a confirmé que le décodage de captcha “à la chaîne” par des humains était utilisé pour améliorer artificiellement le référencement de certains sites ou services (grâce à des spams, en créant de faux blogs ou en multipliant les inscriptions à des annuaires en ligne). Ainsi, la plupart des outils et services utilisés à cette fin ont recours systématiquement (via des API) à cette saisie humaine. Inutile de préciser que la légalité de ce genre de pratique est douteuse.

Mais au delà des captchas, il est donc hyper facile de faire faire à un freelance en Asie à peu près n’importe quel boulot à la limite de la légalité. Le site hire-a-killer.com semble beaucoup plus réaliste, d’un coup.

Mais que fait la police?

Affolés par la facilité avec laquelle on pouvait externaliser ses coups bas, nous avons contacté les cyberflics, qui officient sous le doux nom de l’Office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l’information et de la communication (OCTLCIC), pour leur demander si c’était bien légal, tout ça.

Manifestement pris au dépourvus, ils trouvent que “c’est une bonne question”“Faudrait regarder dans le code pénal”, poursuivent-ils, avant de nous renvoyer vers le service com’ de la PJ. Contactés mercredi, ils n’ont pas encore répondu.

Si cet article vous a donné des idées, sachez quand même que le commanditaire d’un délit encourt les mêmes peines que celui qui l’exécute… (merci Laura de m’avoir trouvé l’art. 121-6 du code pénal)

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Article co-écrit avec Martin U. /-)

Retrouvez les autres articles de ce premier volet de notre série sur le Contre-espionnage informatique : Des milliers d’emails piratables sur les sites .gouv.fr et Blinde ton mot de passe.

Retrouvez également les deuxième et troisième volets de cette série sur le  Contre-espionnage informatique.

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http://owni.fr/2010/05/14/enquete-70-centimes-les-1000-captchas/feed/ 12
Europe numérique, le déclin ? http://owni.fr/2010/02/27/europe-numerique-le-declin/ http://owni.fr/2010/02/27/europe-numerique-le-declin/#comments Sat, 27 Feb 2010 12:06:09 +0000 Luca De Biase (tr. Adriano Farano) http://owni.fr/?p=9118

CATANE (Italie) – Ce bout de Sicile entre la Méditerranée et l’Etna nous pousse à réfléchir aux notions de mythologie, travail ou encore électronique. Nous sommes dans l’un des endroits où finit – ou recommence peut-être – l’Europe de la technologie : le campus de STMicroelectronics (STM), société née de la fusion entre l’italienne SGS Microelettronica et la française Thomson Semiconducteurs. Et plus précisément dans le bâtiment M6, qui aurait dû être une usine pour la production de mémoires flash utilisées dans tous les gadgets électroniques qui ont besoin de se souvenir des données même lorsqu’ils sont éteints. Mais le projet n’a jamais pris son envol, malgré une joint-venture avec Intel, à cause de la concurrence des sous-traitants en Asie. STM, fleuron de l’électronique européenne, a donc baissé les bras et vendu ses parts à Micron. Le verre à moitié vide.

En revanche, la qualification de la main-d’œuvre locale, le soutien des autorités publiques, la proximité du marché européen, un accord avec Enel [équivalent italien d'EDF nldr] ont convaincu le japonais Sharp : ici, il produira des panneaux photovoltaïques pour les nouveaux systèmes solaires intégrés avec le géant italien de l’électricité. Le verre à moitié plein.

Mais où en est l’Europe de la technologie ? En est-elle à la fin ou au début de son histoire ? Certes, elle perd des points dans de nombreux classements du numérique. Mais elle est riche en valeur. Prenez les accéléromètres. C’est STM qui les a inventés, développés et fabriqués. Ils sont aujourd’hui essentiels pour des géants mondiaux tels que Nintendo, Apple et autres Toshiba, très friands d’installer dans leurs produits ces nouveaux capteurs capables d’enregistrer le mouvement dans l’espace. Une application pratique ? Le jeu de tennis avec la Wii de Nintendo, par exemple. Selon iSupply, STM est le leader mondial de ce secteur dans lequel la multinationale n’en finit pas d’innover, en gardant bien derrière ses concurrents, comme en témoigne l’introduction récente d’un gyroscope numérique triaxial.

Hélas, cette histoire, avec d’autres succès mondiaux tels que Nokia et Vodafone, ne change pas le fond du problème : l’Europe, avec son obscure stratégie de Lisbonne et ses entreprises de renom telles que Philips ou Siemens, ne fait pas rêver . Elle ressemble à un continent solide mais qui vieillit – en 2025, 2,2% des 8 milliards d’habitants de la planète seront des Européens âgés de plus de 65 ans – alors que l’histoire est écrite par les leaders en jeans d’Apple, Google et autres Facebook, ou par d’agressifs géants asiatiques. Ainsi, les Européens semblent avoir perdu le contact avec le peloton de tête du numérique, même s’ils sont considérés comme les futurs leaders dans le secteur des nanotechnologies ou du green business, dit-on chez l’OCDE. Soit trop en retard, soit trop en avance : c’est comme si les Européens n’étaient pas synchronisés avec la planète.

Hélas, si le présent s’appelle Internet, innovation et réseau, il est clair que les Européens sont ailleurs. Klaus Hommels, gourou de la finance, analyse : «En Europe, avec Internet nous détruisons plus de capitalisation boursière que nous n’en bâtissons. Cela n’arrive pas aux États-Unis, en Chine ou en Russie». Les domaines menacés par Internet perdent du profit en Europe, affirme Hommels, tandis que le continent ne produit pas de nouveaux leaders du marché et que ses capital-risqueurs n’ont pas la mentalité de les appuyer. Les idées des Européens se heurtent aussi à la multiplicité des langues, ce qui finit par fragmenter le marché intérieur.

Les Américains ont un leadership culturel imbattable

La question est même plus subtile : dans le domaine d’Internet, les Américains semblent imbattables non seulement parce qu’ils ont l’argent et un grand marché domestique mais aussi parce qu’ils ont un leadership culturel imbattable.

Certes, des innovateurs du Web peuvent émerger n’importe où, mais s’ils cherchent un développement global, ils finissent par découvrir qu’il vaut mieux passer par les États-Unis. Prenez Skype. Le leader mondial de la téléphonie par Internet, est certes né en Europe mais il s’est vite retrouvé en Californie. «Je travaille à Milan parce que cela me plaît», déclare Erik Lumer, vieux loup de mer du Web et aujourd’hui fondateur de Cascaad, une plateforme qui cherche le succès dans l’espace des moteurs de recherche sociale, les nouvelles technologies qui tirent parti de Twitter et autres réseaux sociaux. «Je garde un réseau en Californie où je me rends souvent, car le succès passe par là», assure-t-il. La technologie de Lumer ne va pas décoller si elle ne persuade pas les Californiens qui, à leur tour, devront transmettre leur enthousiasme au reste du monde. En effet, pour faire connaître Cascaad et intriguer les experts, il a fallu une interview du techno-gourou Robert Scoble.

C’est ce qui s’est passé aussi avec Tweefind, un moteur de recherche consacré à Twitter, qui avait été conçu en Sardaigne par un petit groupe de développeurs dirigé par Luca Filigheddu, mais qui a attendu une revue du fameux blog Mashable pour être connu. Dans l’enchevêtrement des variations infinies que le Web peut offrir, le leadership est assuré par le système le plus crédible. Force est de constater qu’à l’heure actuelle, entre Américains et Européens, il n’y a pas de comparaison.

L’Internet est un domaine concurrentiel où le succès vient de plusieurs facteurs. Bien sûr, il faut la technologie. Mais il faut aussi les développeurs qui génèrent des applications qui la rendent utile. Et les utilisateurs qui lui confèrent de la valeur. D’abord les utilisateurs et ensuite l’argent, disent les Américains : entre plusieurs technologies, sur la Toile, c’est toujours la plus utilisée qui gagne. Aussi, les nombreux composants qui génèrent de la valeur sur le Web ont besoin d’un leader qui assure la direction et le rythme de l’innovation pour l’écosystème tout entier. Autrefois, ceci était défini par le couple Intel-Microsoft. Aujourd’hui, le domaine s’est élargi : Google, Apple, ou même Facebook n’ont peut-être pas une taille colossale en termes de personnel, mais elles guident des centaines de milliers d’entreprises et des centaines de millions de personnes dans la création de valeur en ligne. Faut-il en conclure que les Européens sont destinés à quitter les secteurs de la technologie numérique ?

Cet article a été publié le 23 février sur le quotidien italien Il Sole 24 Ore. Son auteur, Luca De Biase, est un journaliste italien expert du Web et des nouvelles technologies. Adriano Farano, journaliste et co-fondateur de cafebabel.com, en a assuré la traduction.

Photo Pete Ashton sur Flickr

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